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science ont répondu chacun à sa manière. Le mal a eu un commencement, répond la théologie chrétienne : il est entre dans le monde par une volonté créée libre de choisir le bien, car Dieu est libre, Dieu est la souveraine liberté, et il a fait la créature à son image, c’est-à-dire libre comme lui ; mais cette magnifique solution, qui donne la liberté divine pour type et fondement de la liberté humaine, pouvait-elle être comprise du moyen âge, qui n’a pas eu la première notion de la liberté, du moyen âge serf de corps et d’esprit ? Il passa donc à côté sans la comprendre, et, sous ce rapport comme sous bien d’autres, il a été moins chrétien que ne le disent ses modernes apologistes. — Le mal, répond à son tour la science, est l’absence du bien comme le froid est l’absence du calorique, c’est une négation ; mais cette solution, par trop métaphysique et quintessenciée, exige un effort d’abstraction qui était complètement en dehors des habitudes de la pensée du moyen âge, portée au contraire à revêtir toutes ses conceptions d’une existence réelle, positive et même corporelle. Ni la solution chrétienne ni la solution scientifique ne pouvait entrer dans l’esprit de cette époque, et il ne lui resta que la solution dualiste, qui fait du mal un être réel, un principe éternel, incréé et créateur.

Cette idée n’était pas nouvelle, elle est au fond des cosmogonies gréco-asiatiques et du gnosticisme alexandrin ; mais elle y était demeurée enveloppée des nuages de la métaphysique ! Le moyen âge l’a fait descendre de ces hauteurs inaccessibles au vulgaire et l’a mise à la base de sa religion et de sa morale pratique. Partout l’on trouve le principe bon et le principe mauvais, Dieu et le diable, l’antagonisme entre l’esprit et la matière, entre le monde invisible et de monde visible. Sur ce terrain dualiste, la grande église est allée aussi loin que les autres sectes. Le principe mauvais qu’elle admet n’est pas éternel, il est vrai ; mais l’enseignement et la prédication le revêtent d’une existence réelle, corporelle même, qui s’impose sous mille formes monstrueuses aux imaginations. Il remplit de sa puissance la nature physique et la nature morale. Les vices et les crimes lui sont attribués comme les phénomènes naturels dont la science n’avait point encore saisi la véritable cause : il souffle l’air empoisonné qui décime la population, on voit passer sa forme étrange sur la nuée qui porte la tempête, on entend sa voix dans le rugissement des vents et dans le bruit des grandes eaux débordées, c’est lui qui détache l’avalanche roulant dans la vallée. Toutes ces traditions et ces légendes populaires sur les exploits malfaisans de Satan reçoivent la consécration de l’autorité religieuse et passent dans la croyance orthodoxe. La terreur que le diable inspire courbe les populations et les précipite dans le sanctuaire. Après le bûcher et l’excommunication, la crainte du diable