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sur beaucoup de points, dit leur ennemi le plus acharné, l’inquisiteur Raineri ; mais, ajoute-t-il, ils ne faisaient aucun cas des traditions, des conciles, des pères, et des décrets des papes, et ce mépris a été l’origine de leur hérésie. » Ce témoignage rendu à la conformité des doctrines vaudoises avec celles de l’église dominante est peut-être trop absolu. L’inquisiteur n’aperçoit pas toutes les différences. Ainsi, au moment où les Vaudois entreprenaient la conquête des pays provençaux, ils n’admettaient que l’Écriture sainte pour règle de foi, et ils avaient une christologie, c’est-à-dire une manière d’entendre le rôle du Christ, beaucoup plus serrée et plus évangélique que celle de Rome. Jésus-Christ était tout dans leur foi, sauveur parfait, médiateur unique entre Dieu et les hommes, salut et vie pour tout croyant, et sa personnalité remplissait le dogme et la croyance, en éliminait tous les autres modes de salut, tous les autres médiateurs introduits par le catholicisme. Si le christianisme est la religion du Christ, l’hérésie des Alpes a été plus chrétienne que l’église romaine, car dans son rustique sanctuaire il n’y a eu de place que pour le Christ, sa doctrine, sa morale et son culte. En s’avançant au midi, ce filon de la pure substance de l’Évangile devait se heurter à l’hérésie des Albigeois, dont le principe de protestation était pris en dehors de la donnée chrétienne.

Le principe dualiste embrassé par les Albigeois est né de la préoccupation des origines du mal, qui a été le grand tourment de la pensée au moyen âge. L’antiquité païenne avait eu une préoccupation toute différente : elle avait songé au bien, au souverain bien. Ses écoles philosophiques avaient fait du souverain bien le but constant de leurs recherches et de leurs hautes spéculations. Engagée dans cette poursuite paisible, l’antiquité grecque et romaine avait vu sous des couleurs heureuses, riantes et poétiques les grands objets qui s’imposent à l’esprit humain, Dieu, l’homme et le monde ; mais à l’homme du moyen âge sombre, triste, travaillé par des misères effroyables, ces objets sont apparus sous un tout autre aspect : il les a vus à travers ses souffrances et son désespoir. Le mal l’étreignait de toutes parts et sous toutes les formes, oppression des âmes, oppression des corps, servage plus dur que l’esclavage antique parce qu’il était plus impatiemment porté, violences inouïes, guerres sans cesse renouvelées, pestes, famines, tous les maux réunis. A quoi pouvait-il songer dans sa douleur, sinon au mal, au vautour qui lui dévorait les chairs ? Il s’est abîmé dans cette pensée ; par toutes ses voix, par la métaphysique, par la théologie et par la religion, il a demandé la cause du mal qui l’opprimait. Quelle en est l’origine ? A-t-il eu un commencement ? aura-t-il une fin ? comment est-il entré dans un monde créé par le Dieu bon ? Questions terribles auxquelles le christianisme et la