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Son idéal religieux est aussi le renoncement volontaire aux richesses et la pauvreté des premiers disciples de Jésus. Pour prêcher d’exemple, il renonce lui-même à une grande fortune qu’il avait acquise par un commerce ambulant en courant les foires et les marchés ; il en fait deux parts, l’une qu’il distribue aux pauvres, l’autre qu’il emploie à faire traduire en langue vulgaire les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament. Comme les Vaudois des Alpes, il ne se croit pas d’abord séparé de l’église, car il admet tous les grands dogmes du catholicisme, et il adresse au concile tenu à Latran en 1179 une demande en autorisation de prêcher avec un exemplaire de sa traduction de la Bible. Pour toute réponse, le concile le déclare hérétique, retranché de la grande communion, lui et sa traduction. C’est alors qu’il organisa son ministère. Tout ce que Lyon renfermait de pauvres et d’opprimés accourut à lui, et il choisit parmi les gens des métiers les plus vils, dit Etienne de Borbone, ses apôtres, qu’il envoya prêcher deux à deux à la façon des barbes. Bientôt la ville et les environs furent sillonnés d’hommes et même de femmes qui annonçaient l’évangile des pauvres, le renoncement aux richesses, la pauvreté apostolique et la charité universelle. En passant par la bouche de ces prédicateurs populaires, l’idéal du maître s’exagéra encore, et devint nécessairement la contre-partie de la morale de l’église, une protestation contre les richesses scandaleuses du clergé. La secte des paores de Lyon fut une jacquerie dans l’ordre religieux, mais une jacquerie inoffensive, sans violence dans l’ordre économique, humble et douce, agissant par la foi, chrétienne dans la plus haute acception du mot. Ce fut Jacques Bonhomme sans la fourche et la faux, armé seulement de la parole divine. Malgré ce caractère inoffensif, une telle doctrine ne pouvait tenir dans une ville vouée au travail, où le commerce et l’industrie ramenaient sans cesse la richesse : son idéal pouvait à la rigueur se réaliser au siège primitif de la secte, parmi ces populations pauvres des Alpes, dans des vallées perdues ; mais à Lyon il ne gagna que la population déshéritée, et l’archevêque Jean de Bellesmains eut facilement raison de cette manifestation en 1184. Chassés de Lyon, les paores se dispersèrent dans le midi de la France, où ils allèrent grossir les églises déjà rassemblées par les premiers prophètes vaudois, tandis que leur chef prenait la voie du nord, et allait mourir en Bohême après avoir semé partout sur son passage le germe des hérésies futures.

Tel est le courant chrétien de la protestation du moyen âge, courant qui diffère peu par la doctrine de celui qui a produit le mouvement religieux du XVIe siècle. Les croyances qu’il a portées dans le midi de la France sont conformes à celles de l’église romaine sur les questions principales. « Les Vaudois s’accordaient avec nous