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des barbes, l’un aidant l’autre ; mais ils se séparèrent bientôt en Dauphiné sur quelque point de doctrine resté inconnu, et chacun poursuivit sa pointe selon que l’esprit le poussait. Pierre de Bruis se dirigea en droite ligne sur le midi, tandis qu’Henri faisait un long détour par le Lyonnais, la Suisse et le centre de la France. Nous n’avons pas d’écrits émanés d’eux directement ; mais on peut saisir leur doctrine dans les récits de leurs adversaires, de Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, et de saint Bernard, abbé de Clairvaux, qui furent opposés, l’un à Pierre de Bruis, l’autre à Henri l’Italien. Ces deux prophètes des Alpes tendent au même but, ramener l’église à la foi et aux mœurs des premiers temps ; mais ils y tendent par des voies différentes. Le premier marche droit à l’ennemi et attaque de front tout ce qui lui paraît innovation dans l’église romaine ; le second, plus calme et plus modéré, insiste sur ce qui unit, sur les croyances et les mœurs d’autrefois que l’orthodoxie nouvelle n’a pas encore laissées en arrière. Logicien violent, vrai type du huguenot français du XVIe siècle, Pierre de Bruis pousse son raisonnement comme un bélier sur toutes les pratiques et les cérémonies que le progrès des temps a introduites dans la religion. Partant de ces prémisses posées par saint Paul comme la pierre fondamentale du christianisme, que l’homme est sauvé par la foi en Jésus-Christ, seul sauveur et seul médiateur, il en tire la conclusion que tout culte extérieur qui ne procède pas de cette foi personnelle est inutile, inutiles les sacremens et les pratiques, les génuflexions, les pèlerinages, l’invocation des saints, les images, les statues, les croix, inutiles même les édifices publics consacrés au culte. Avec ce radicalisme religieux, il ne devait pas aller loin ; il rencontra en effet le bûcher à Saint-Gilles, en Languedoc, tandis que son ancien compagnon de travaux faisait sa tournée missionnaire dans une sécurité relative. Henri l’Italien, arrivé au Mans en 1110, put d’abord prêcher librement dans les églises. Il annonçait la perfection évangélique, la réforme des mœurs, la simplicité et la pauvreté apostoliques, évitant soigneusement toute controverse théologique irritante. Sa prédication attira le peuple, qui bientôt ne voulut plus avoir d’autre pasteur que l’éloquent étranger ; mais elle ne pouvait réussir au même degré auprès d’un clergé riche et mondain dont la réforme morale qu’il prêchait aurait amoindri la grande situation. Henri fut accusé d’hérésie et obligé de reprendre le bâton du voyageur, poursuivi par une vile populace ameutée par les gens d’église. Du Mans, il descendit à Poitiers et sur les villes du midi, partout accueilli à son arrivée par le peuple, que son éloquence entraînait, mais de partout repoussé dès que le clergé apercevait où tendait sa prédication. Dans le midi, il recueillit l’héritage de son compagnon mort, continua son œuvre,