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âge sur le modèle des sociétés politiques et civiles, unitaire avec les derniers césars, féodale, fédérative et fractionnée avec le moyen âge, revenant de nouveau à l’unité, mais à l’unité tempérée par les conciles, véritables parlemens de l’église, enfin absolue, centralisée et infaillible avec les grandes monarchies modernes. Qu’on ne pense pas que l’organe d’autorité qui s’est formé de bonne heure au centre ait été un obstacle au mouvement. Rien n’est plus novateur qu’une autorité qui ne se laisse pas discuter. La papauté a surveillé, réglé, souvent précipité cette étonnante évolution qui dure encore. Peut-on supposer en effet qu’une religion qui a ainsi compté avec la conscience universelle et marché avec les sociétés humaines soit désormais immobilisée dans une forme définitive ? Qui sait si, par un mouvement nouveau, espéré des uns et redouté des autres, elle ne ressaisira pas l’esprit du siècle, qui semble s’en aller dans une autre direction ?

Or à diverses étapes de cette marche séculaire elle a laissé en arrière bien des groupes de population qui ne marchaient point du même pas qu’elle, et dont l’esprit n’était ni aussi agile ni aussi ouvert aux innovations que celui des races latines, qui portaient la barque mystique. Elle en a laissé à l’orient et à l’occident, au nord et au midi, principalement parmi les Slaves et les Germains. De la lenteur gréco-slave est sorti le grand schisme oriental que les papes n’ont jamais pu faire rentrer dans leur ordre de marche. D’autres attardés ont été ressaisis par une main vengeresse et ramenés, brisés et sanglans, dans les rangs orthodoxes après une séparation momentanée. Les Slaves de Bohême, par exemple, qui en étaient restés à l’usage primitif de la communion des laïques avec le calice, usage que Rome déclarait hérétique, furent ramenés de force à travers des flots de sang et la ruine de leur patrie. En vain Ziska et les deux Procopes anéantirent dix armées impériales, il fallut rejoindre et regagner la distance perdue. Le groupe qui nous occupe a été plus heureux. Imperceptible d’abord, caché aux regards par les contre-forts des Alpes, éloigné des grandes voies de communication, il a dû son salut à l’obscurité dont il était enveloppé et à sa petitesse même. Les accidens politiques et religieux qui ont surgi sur les deux versans l’ont protégé longtemps. Enfin, quand il a été aperçu et signalé, l’explosion des autres sectes du moyen âge est venue à propos attirer ailleurs l’attention et les efforts de la papauté. Il faut avoir une idée de toutes ces circonstances favorables pour comprendre comment cette humble secte a pu échapper à l’orthodoxie absorbante qui la pressait de toutes parts.

L’église catholique d’aujourd’hui, cette église fortement unifiée, embrassant le monde et faisant mouvoir dans la sphère des choses religieuses des millions d’âmes à la parole infaillible d’un vieillard,