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matériaux divers entrés dans la construction, la date où ils ont été employés et l’empreinte laissée par chaque période. Simple et sévère à l’origine, quand le christianisme n’est pas encore le catholicisme, c’est-à-dire la religion officielle du monde romain, édifice purement spirituel, il s’est peu à peu orné, embelli, matérialisé, pour contenir et retenir la multitude des nations encore païennes qu’un empereur romain fît entrer de force dans l’enceinte sacrée. Le christianisme subit alors une transformation fondamentale. Jusque-là, il avait porté entièrement sur la libre association des âmes converties et unies par la même foi, c’est-à-dire sur le petit nombre, car en tout temps les âmes véritablement croyantes sont le petit nombre ; mais, en recevant l’empire des mains de Constantin, il abandonna cette base première des libres et fortes convictions, et roula sur le terrain mouvant des multitudes et des majorités.

Portée dès lors sur la foule très peu chrétienne des peuples rangés sous sa loi, la grande église a marché et grandi avec eux, docile, plus docile qu’on ne croit, aux mouvemens de la conscience religieuse universelle, recevant d’elle l’impulsion tout en la réglant, innovant sans cesse pour la satisfaire et la maîtriser, toujours en formation et jamais achevée, perpétuel devenir comme le dieu du panthéisme allemand. Son infaillibilité a consisté à savoir s’ouvrir à temps aux besoins nouveaux, aux aspirations nouvelles « de la foi aveugle, de la piété et des illusions mystiques des majorités. Aucune conception religieuse, si étrange, si opposée qu’elle parût à la donnée ancienne du christianisme, n’a trouvé la porte obstinément fermée, dès qu’elle y revenait frapper après avoir fait le tour de la conscience générale des nations catholiques. On a vu récemment avec quelle facilité une croyance est admise dans le symbole et devient obligatoire par la définition dogmatique. La bulle Ineffabilis de 1854, proclamant un dogme nouveau, a mis à nu le secret de la formation orthodoxe. Pour contenir et retenir le monde pendant tant de siècles, il a fallu une orthodoxie souverainement élastique, s’étendant et se rétrécissant à la mesure de sa foi et de sa piété, assez résistante néanmoins pour offrir l’apparence de l’inflexibilité ; mais, si l’on sait désormais comment les dogmes sont admis dans le sanctuaire, nul n’a jamais su comment ils en sortent. La grande église n’a rejeté, — officiellement du moins, ex cathedra, comme on dit, — aucune des doctrines admises depuis les jours de Constantin et de Charlemagne. Dans l’immense construction élevée par la foi des siècles, les choses nouvelles sont venues se ranger naturellement à côté des anciennes sans éliminer ces dernières. Aucune tradition, pas même celle de l’inquisition, n’a été supprimée positivement, aucune affirmation niée. La forme extérieure, la constitution, n’a pas été moins flexible. Elle s’est renouvelée d’âge en