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où les idiomes des deux versans ont le moins déteint. Nous avons nous-même fait cette expérience en lisant à des pâtres vaudois quelques vers de la Nobla Leyczon, le document le plus considérable de cette littérature. Le dialecte a un caractère grammatical différent de celui du piémontais et du provençal, plus voisin de la basse latinité du moyen âge qu’aucun dialecte moderne. Raynouard, qui en a fait une étude particulière, s’appuie sur l’ancienneté de ce dialecte vaudois pour prouver l’existence d’une langue romane primitive parlée, sinon écrite, dès les temps de Charlemagne. Cette langue aurait été le premier degré de la décomposition du latin et le type commun d’après lequel se sont formés successivement les divers idiomes de l’Europe latine. Le dialecte de la Nobla Leyczon et celui des premiers troubadours du midi sont, d’après ce savant critique, deux rejetons simultanés sortis en même temps, c’est-à-dire vers le XIe siècle, de cette langue romane primitive dont nous possédons aujourd’hui un échantillon écrit dans le fameux serment de Louis de Germanie. Ce serait donc à cette époque qu’il faudrait rapporter l’apparition de la Nobla Leyczon, qui fut une des premières manifestations de l’hérésie alpestre.

Ce poème d’ailleurs porte sa date. L’auteur inconnu y déclare qu’il écrit mille et cent ans après qu’a été faite la prédiction de la fin du monde qui a été le cauchemar du moyen âge. Nous donnons ce passage, traduit par Raynouard, afin qu’on puisse se rendre compte de l’époque à laquelle nous reporte cette déclaration :


« O frères, s’écrie le poète, écoutez une noble leçon : — Souvent devons veiller et être en oraison, — Car nous voyons ce monde être près de son terme ; — Moult curieux devrions être de bonnes œuvres faire, — Car nous voyons ce monde de la fin approcher. — Bien a mille et cent années accomplies entièrement — Que fut écrite l’heure que nous sommes aux derniers temps[1]. »


Or. à quelle époque faut-il faire remonter la terrible prédiction ? Commença-t-elle avec l’ère chrétienne ou seulement avec l’Apocalypse ? Les critiques allemands, Gieseler et Schmidt, adoptent ce dernier point de vue, et font commencer la prédiction à l’Apocalypse, où elle s’est formulée plus clairement que dans les Évangiles. Cependant comment supposer que l’auteur inconnu de la Nobla Leyczon, qui paraît avoir beaucoup de foi, mais peu de science, ait

  1. O frayres, entende una nobla leyczon :
    Souvent deven velhar e istar en oreczon,
    Car nos veyen aquest mont pres del chavon ;
    Mot curios devrian esser de bonas obras far,
    Car nos veyen de la fin apropiar.
    Ben a-mil e cent anez compli entièrament
    Que fo scripta l’ora car sen al derier temp.