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célèbre par un grand massacre d’hérétiques, la vallis gyrontana, connue aujourd’hui sous le nom de Vallouise, donné en souvenir du bon roi Louis XII, qui fit cesser la persécution. De la Vallouise, l’hérésie, puisque hérésie il y a, descend sur la Durance, et se rapproche des pays provençaux, où s’organisera bientôt la grande protestation vaudoise et albigeoise. En 1119, le concile de Toulouse, alarmé du point noir qui se forme sur les Alpes, lance contre les hérétiques, « qui habitent partie en Italie et partie en France, » les terribles ordonnances qui ont inauguré la législation sanglante appliquée par le tribunal de l’inquisition. L’esprit orthodoxe s’émeut jusque dans les pays les plus éloignés des Alpes. Un moine de l’abbaye de Saint-Thron, en Belgique, ayant à faire un pèlerinage à Rome, s’effraie à la pensée d’avoir à traverser ces hauteurs sauvages où une hérésie ancienne, dit-il, ajoute ses horreurs à celles de la nature, et il confie ses terreurs à la chronique de son couvent, rédigée de 1108 à 1136. De l’autre côté des Alpes, l’évêque d’Asti jette à la même époque le cri d’alarme devant cette dissidence qui se développe dans la ceinture des montagnes, et s’approche de son diocèse par la chaîne de l’Apennin et les collines du Montferrat.

Ce qui ajoutait à la crainte causée par cette étrange dissidence, c’est qu’on ignorait les affirmations dogmatiques et les principes de foi qu’elle mettait en avant. On lui prêtait des croyances absurdes et des mœurs abominables. Ce n’est que beaucoup plus tard que les doctrines particulières des montagnards ont été connues. La secte a publié de bonne heure des écrits, des poèmes en vers grossièrement rimes, des traités de controverse et des confessions de foi où sont exposés ses principes religieux et sa morale ; mais ces écrits n’ont attiré l’attention des savans qu’à l’époque de la réformation. Il en existe aujourd’hui trois collections, — celle de Dublin, formée par le savant prélat anglican Usser, celle de Cambridge, recueillie par Morland, ambassadeur de Cromwell à la cour de Turin, qui a écrit lui-même sur ces documens une histoire remarquable des religionnaires des Alpes[1], enfin celle de Genève, déposée à la bibliothèque de cette ville par Jean Léger, historien, capitaine et ministre vaudois pendant la grande lutte soutenue par son pays en 1653 contre les troupes du duc de Savoie et du roi de France. Ces documens curieux de la littérature religieuse des Vaudois sont les titres d’ancienneté des doctrines de la réformation. Qu’ils soient bien réellement des productions vaudoises, cela résulte de ce fait qu’ils ont tous été recueillis dans les vallées des Alpes, et qu’ils sont écrits en un dialecte encore compris aujourd’hui des gens illettrés des communes les plus rapprochées de la chaîne centrale,

  1. The History of the evangilical churches of the valleys of Piemont, Londres 1655.