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organisée est demeurée incertaine dans beaucoup d’esprits d’ailleurs fort éclairés. Il nous a donc semblé qu’une étude sur cette population singulière pouvait avoir l’attrait de la nouveauté.


I

La région où les dissidens sont confinés de nos jours est formée par trois vallées principales qui tirent leurs noms des cours d’eau qui les parcourent, le Pellice, l’Angrogna et le Chisone. Au voyageur qui les aborde par la plaine du Piémont, elles présentent un spectacle singulièrement imposant. Rattachées au même massif, elles se dressent en espalier gigantesque à demi incliné contre la grande muraille des Alpes, se ramifient en vallées secondaires et en vallons, et s’ouvrent largement aux rayons du soleil levant. L’air est si pur sous ce beau ciel, l’atmosphère si transparente, qu’il semble qu’on pourrait de la main toucher le couronnement granitique contre lequel elles s’épanouissent. A la limite supérieure et à gauche du spectateur se dresse l’aiguille élancée du Viso, l’antique Vesulus des Latins, jaillissant de la base circulaire des Alpes comme la grande tour de l’enceinte massive d’une ville fortifiée. Il domine tout le pays subalpin et s’aperçoit de tous les points de la plaine. « C’est la plus piémontaise de toutes les montagnes du Piémont, » dit un écrivain de ce pays. Elle sert de baromètre au contadino de la plaine par les teintes diverses qu’elle revêt, tantôt bleue comme un monolithe de saphir, tantôt rougie par le soleil levant qui allume sa couronne de neige, ou bien obscure et noire quand le soleil fuit derrière elle vers la France. Elle soutient un côté du système des vallées vaudoises. Deux d’entre elles sont creusées dans les flancs mêmes du Viso, les autres montent en droite ligne vers la chaîne centrale qui sépare la France du Piémont, ou s’infléchissent vers le nord dans la direction de la forteresse de Fénestrelles, qui abrita l’infortune du surintendant Fouquet ; toutes enfin communiquent entre elles par des ramifications supérieures et vont se rattacher à un débouché commun sur la plaine du Pô.

Cette configuration particulière, ces vallées reliées entre elles par des passages supérieurs et se dirigeant vers une entrée commune qui pouvait être facilement fermée, tel est le secret de l’histoire de la peuplade dissidente et de sa merveilleuse préservation au milieu d’ennemis acharnés à sa perte. Les historiens nationaux, plus pieux qu’érudits, ont attribué à une intervention continuelle de la Providence cette résistance victorieuse aux attaques multipliées des troupes de Savoie. Il n’était pas besoin de recourir aux interventions mystérieuses pour l’expliquer : il suffisait de regarder attentivement la configuration du pays. A l’approche de la croisade