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sous des souverains absolus et belliqueux, parce que la guerre ne ravageait alors que les cantons où elle sévissait. Les nations industrielles d’aujourd’hui ont avant tout besoin de sécurité, parce que sans elle les entreprises s’arrêtent, ce qui amène la misère des travailleurs et la détresse des capitalistes. Cette idée qu’il peut dépendre du caprice d’un seul homme de précipiter les peuples malgré eux dans des luttes qu’ils paient de leur sang et de leurs richesses était naturelle jadis : elle est devenue intolérable maintenant. Le triomphe du régime parlementaire est infaillible, car un peuple éclairé et riche ne supportera jamais longtemps qu’on dispose de ses destinées sans son assentiment. La nation doit finir par l’emporter, parce qu’elle dure et que sa volonté agit toujours dans le même sens, tandis que ses adversaires se succèdent, meurent ou se fatiguent. L’homme qui prétend soutenir un mur qui penche ne peut manquer d’être un jour écrasé sous sa chute ; s’il faiblit ou s’endort un seul instant, il est perdu. La prétention de fonder le despotisme a toujours abouti à la défaite de la royauté qui visait à devenir absolue. En Angleterre, elle a coûté la vie à Charles Ier et le trône à Jacques II ; en France, elle a coûté la couronne à deux dynasties. M. de Bismarck disait à la fin d’un de ses discours (23 janvier 1863) : « La royauté prussienne n’a pas rempli toute sa mission. Elle n’est pas encore prête à devenir tout simplement la corniche qui orne l’édifice constitutionnel ou le rouage inerte que le mécanisme parlementaire fait tourner à sa guise. » Il se peut que le moment ne soit pas venu, mais il viendra, parce que l’Allemagne est mûre pour se gouverner elle-même.

Déjà maintenant la Prusse même, malgré sa mauvaise réputation sous ce rapport, n’a rien à envier en fait de liberté à bien des pays qui l’ont jadis précédée de loin dans la carrière. La plupart des articles qui garantissent les droits du citoyen prussien sont empruntés aux constitutions françaises de la révolution et traduits presque mot pour mot. Tous les Prussiens sont égaux devant la loi et admissibles à tous les emplois. Tous les privilèges sont abolis. La liberté personnelle est garantie. Le domicile et le secret des lettres sont inviolables ; Nul ne peut être soustrait à son juge légal. La liberté des cultes et des associations religieuses est reconnue. La science et l’enseignement sont libres. Quiconque possède la capacité et la moralité requises peut enseigner et fonder des établissemens d’instruction. Chacun a le droit d’exprimer librement ses opinions par la voie de la parole, de l’écriture, de la presse ou de l’art. La censure ne peut être rétablie, et les délits commis dans l’exercice de ces libertés sont soumis aux tribunaux et à la législation ordinaires. Tous les Prussiens ont le droit de s’associer et de