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les glaces des vallées ? n’ont-ils pas d’ailleurs une masse hors de toute proportion avec celle des neiges, que l’on peut envisager comme pesant sur eux ? Et si cela est vrai de nos grands glaciers, à combien plus forte raison ne pourra-t-on pas le dire des glaciers d’autrefois ! Où placera-t-on sur les pics des Alpes des masses suffisantes pour représenter la presse hydraulique qui faisait mouvoir l’ancien glacier du Rhône ?

Il n’est pas douteux qu’une pression existe ; mais la manière dont elle s’exerce demeure incertaine. Le degré d’avancement de la théorie semble répondre exactement à la quantité et à la nature des observations faites sur les lieux. Jusqu’ici, la plupart des naturalistes ont planté leur tente à 2,000, 2,400, 2,600 mètres. Le moment est venu d’étudier avec la même persévérance la zone comprise entre 3,000 et 4,000 mètres. La théorie des glaciers ne sera pas complète aussi longtemps qu’on n’aura pas des données très précises sur la première transformation de la neige en glace, sur le mouvement de la température des neiges voisines des sommets les plus élevés, sur les effets du tassement, sur l’état des couches de fond. M. Dollfus-Ausset, naturaliste infatigable, vient d’entrer hardiment dans cette voie nouvelle. Il a poussé la curiosité jusqu’à vouloir être exactement instruit de ce qui se passe au cœur de l’hiver à plus de 3,000 mètres. C’est lui qui a organisé le séjour que trois guides habitués aux observations météorologiques ont fait, il y a deux ans, au Saint-Théodule. Cet exemple sera suivi, et avant peu d’années sans doute nous aurons toute une moisson d’observations. La science n’a pas coutume de rester à mi-chemin ; elle ne recule que devant l’impossible. Si d’ailleurs il est une question qui ait chance d’être étudiée avec suite et avec zèle, c’est bien celle des glaciers ; elle semble entourée de je ne sais quel charme auquel on ne résiste guère. Les naturalistes qui ont abordé cette étude lui sont tous restés longtemps fidèles. Plusieurs y ont voué leur vie. Chaque été, ils reprennent leur sac de voyage. C’est leur fête de l’année, et il faut voir avec quelle impatience ils attendent l’heure du départ. Ils savent qu’ils trouveront là-haut non le loisir, mais quelque chose qui vaut mieux, l’étude fortifiante, l’étude sous le ciel bleu, loin des petites préoccupations de la vie habituelle. Ils auront à y soutenir plus d’une lutte contre la nature : ces luttes-là entretiennent la santé ; elles peuvent produire la fatigue, jamais la lassitude, et elles font jouir également de l’activité et du repos. N’y a-t-il pas des savans qui se sont fait un véritable chez-eux de la haute montagne, et qui, de retour dans la plaine, se trouvent dépaysés et perdus ? Pourquoi s’en étonner ? La nature, mère de la science, s’est réservé sur les Alpes un