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la glace. Ce qui à l’extérieur distingue essentiellement les deux zones, c’est que, sous forme de glace ou de neige, peu importe, les frimas occupent dans la première toute la montagne, sauf les pentes trop raides ou trop exposées au vent, tandis que dans la seconde ils ne se maintiennent guère qu’au fond des vallées ou dans des dépressions plus ou moins fortes, entre des versans qui se dégarnissent en été et souvent se couvrent de verdure. Dans la première, il n’y a qu’une saison, un hiver de douze mois, moins rude en juillet qu’en décembre ; dans la seconde, il y a deux saisons, un hiver de neuf mois, pendant lequel elle se confond avec la zone supérieure, et un été de trois mois, pendant lequel elle s’en distingue en se dépouillant de l’uniforme linceul des neiges fraîches pour montrer au grand jour ses crevasses, ses ruisseaux, ses moraines. La zone supérieure est celle du plein océan des hautes neiges ; la zone inférieure comprend les golfes de glace qui font saillie et descendent jusque dans les régions habitées.

J’ai dit les golfes, j’aurais pu dire les fleuves de glace, car ici les indices de mouvement deviennent si nombreux et si clairs, qu’ils doivent frapper les yeux les moins attentifs. Qu’est-ce que ces crevasses qui à chaque instant coupent le glacier et obligent à de longs détours ? Peut-être ne remarquera-t-on d’abord que les belles teintes qu’elles présentent ; mais on deviendra plus curieux, si l’on a la chance d’en voir une se former tout à coup. Une détonation se fait entendre, elle se prolonge au travers de la masse, des blocs ébranlés par la secousse glissent sur la pente, et l’on se demande, lorsqu’on n’y est pas habitué, si l’on assiste à un tremblement de terre et ce que signifie ce coup de théâtre. Cependant on regarde, on cherche, et l’on finit par découvrir une fente imperceptible, parfois très longue, mais si étroite qu’il n’est pas toujours facile d’y introduire une lame de couteau. Il faut une bien violente tension et une résistance presque égale pour produire avec tant de fracas et d’effort une brisure si imperceptible.

Les moraines nous fournissent une seconde preuve, plus directe et plus positive, du mouvement qui entraîne ces masses gelées. Elles se forment au bord du glacier, au pied des rochers qui le dominent ; mais, si le glacier se trouve coupé par un îlot de terre ferme qui le divise en deux bras, les moraines plus ou moins considérables qui l’enserrent se réunissent à l’extrémité inférieure de cet îlot, et cette extrémité devient le point de départ d’une traînée de débris qui se prolonge indéfiniment sur le dos même du glacier. Si l’inclinaison est nulle ou très faible, cette moraine en plein glacier n’a pas pu se produire par un glissement des matériaux. Ils doivent avoir été transportés, mais comment ? Les eaux n’y sont pour rien,