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hache la fait sauter en esquilles, et les ruisseaux y creusent des sillons aux parois merveilleusement polies.

D’autres phénomènes signalent l’apparition de cette glace, qui, plus grossière ordinairement que celle qu’on trouve çà et là sur les grandes hauteurs, constitue la substance même du glacier. Les principaux sont les crevasses et les moraines. Nous avons déjà rencontré des gouffres près des cimes ; mais c’étaient des cavités irrégulières, des vides souvent dissimulés et qui s’élargissaient de haut en bas ; les crevasses proprement dites suivent une direction beaucoup plus nette, s’évasent à l’ouverture, et sont bien découvertes aussitôt que la neige de l’hiver a disparu. Les gouffres supérieurs peuvent avoir toutes les formes ; les crevasses sont des fentes allongées et relativement étroites. Les moraines ne sont pas un signe moins caractéristique des transformations que subit la neige à mesure qu’on s’éloigne des hauteurs. On sait combien les rochers des Alpes sont ruinés. Chaque printemps, ils se dépouillent d’une grande quantité de blocs que détachent les alternatives de gelée et de dégel. Il n’y a pas dans toute l’étendue des Alpes une seule paroi au pied de laquelle on ne trouve un rempart de débris. Ces débris encombrent les pâturages, ils encombrent aussi les glaciers ; mais dans les régions élevées ils restent ensevelis dans la neige, et il faut qu’elle acquière un certain degré de consistance pour être capable de porter d’abord des cailloux, puis des blocs de plus en plus gros. Quand elle est enfin passée à l’état de glace, elle porterait des quartiers de montagne. À partir de cet instant, tous les débris qui atteignent le glacier s’entassent en désordre sur les bords, et y forment de longues collines irrégulières, reposant moitié sur la glace, moitié sur la terre ferme : ces collines sont les moraines.

Une fois que l’on a ces trois choses, le ruisseau, la crevasse, la moraine, qui toutes trois se rattachent à la transformation de la neige en glace, on peut dire qu’on est entre dans une zone nouvelle, dans la zone à laquelle certains naturalistes réservent exclusivement le nom de glacier. Où est la limite entre ces deux zones ? Ce n’est pas facile à dire. Elle varie selon les versans, les chaînes, les massifs ; elle varie aussi selon les années. Peut-être ne prendrait-on pas assez de marge en disant qu’elle oscille entre 2,800 et 2,400 mètres. Parfois on peut l’indiquer avec précision, la montrer de la main ; mais ce n’est guère possible que lorsqu’elle coïncide avec quelque changement d’inclinaison, et qu’il y a entre les deux zones une crevasse de démarcation. Il est tout aussi fréquent que la limite soit vague, indécise, et qu’on puisse faire un assez long trajet sans savoir au juste si l’on marche sur de la neige ou sur de