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s’agglomèrent et forment ensemble de petites pelotes ou des grains qui ressemblent assez aux grains de grésil, sauf qu’ils sont plus irréguliers. Cette transformation se continue par des progrès insensibles, mais ininterrompus ; les grains deviennent plus gros, ils s’agglutinent, et la neige prend l’apparence d’une sorte de mortier que les gelées de la nuit peuvent rendre assez dur pour qu’il soit nécessaire d’employer la hache quand on veut y tailler des marches. Elle a aussi moins de pureté ; la couleur en est plus terne ; on commence à rencontrer quelques débris, de petits cailloux, du sable, de la poussière, parfois des feuilles sèches apportées par le vent.

Un moment capital est celui où ce mortier devient assez homogène pour que l’eau puisse couler à la surface au lieu de se perdre par infiltration. Ici encore les transitions sont lentes. On trouve d’abord des flancs bien exposés où, sous l’action du soleil, une couche de quelques centimètres devient une sorte de gelée visqueuse, mais sans écoulement apparent. Sur les points où deux pentes convergent, l’eau filtre assez abondamment pour que les trous faits avec le fer du bâton s’emplissent au moment où on le retire. Plus loin, cette gelée liquide, qui n’est pas encore de l’eau, mais qui n’est déjà plus de la neige, commence à s’écouler pesamment ; puis un ruisseau se prononce, un ruisseau dont la marche est encore embarrassée par les neiges à demi fondues qu’il entraîne, qui a déjà cependant la force de se creuser une rigole ; il la déblaie petit à petit, et le voilà enfin qui court joyeux et limpide dans un lit d’instant en instant plus marqué et plus uni. On peut hâter le moment où se forment les ruisseaux des hautes neiges en leur creusant un canal au moyen de quelque grosse pierre que l’on fait glisser. Une fois le canal établi, les eaux s’y précipitent.

Quand on est descendu jusque dans la région des premiers ruisseaux, on touche au moment, plus décisif encore, où la neige, après avoir été fine poussière, grains de grésil, mortier friable, se trouvera transformée en véritable glace. À vrai dire, ce n’est pas de la glace lisse comme celle de nos étangs et de nos fontaines. Si on en détache un morceau et qu’on le laisse fondre au soleil, il ne tarde pas à se décomposer ; si on le frappe à coups de marteau, on sent qu’il se désagrège plus encore qu’il ne se brise ; on y aperçoit des espaces vides, des lacunes, et lorsqu’on le plonge dans un liquide coloré, on découvre bientôt tout un réseau de fissures capillaires par où le liquide pénètre de part en part. À l’état sec, cette glace est opaque à cause de l’air qu’elle contient ; il faut qu’elle soit baignée d’eau pour devenir transparente. Néanmoins c’est bien de la glace- et de la glace dure, sinon tout à fait homogène. La