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la mort flotte vaguement au milieu des pensées diverses qu’inspirent tant de splendeurs. On la voit assise à l’entrée des gouffres d’azur ; mais ce n’est plus le squelette hideux, le spectre décharné qui hante les imaginations effrayées ; c’est l’image de la mort qui est immobilité, non de la mort qui est pourriture, — et il semble qu’il y aurait quelque charme à dormir dans un de ces tombeaux que n’a pas creusés la pelle du fossoyeur, où la corruption ne pénètre pas, qui n’ont pas été mesurés à la taille du corps, et où l’on aurait au moins de l’espace, de l’air et une douce lumière.

Si l’on veut avoir le spectacle complet de ce monde à part, il convient de s’élever jusqu’à 3,800 ou 4,000 mètres, et de rechercher les sommets où la neige peut s’amasser en plus grande abondance. Les Alpes bernoises ne sont peut-être pas celles qui s’y prêtent le mieux ; elles sont trop ardues, les neiges s’y suspendent plutôt qu’elles n’y reposent, et les plus hauts sommets ne sont que des pics chancelans. Mieux vaut pour ce genre de beauté quelques-unes des montagnes du groupe de la Bernina ou les grandes coupoles des Alpes pennines, celles du massif du Mont-Rose, le Mont-Blanc, surtout le Combin. Peut-être n’ya-t-il rien dans toute la chaîne des Alpes qui, mieux que la façade nord du Combin, révèle ce que peut ajouter la neige au relief des montagnes. La charpente se montre à nu sur les flancs méridionaux, mais au nord les frimas ont tout envahi ; ce ne sont que neiges sur neiges, et les angles, les brisures, les aspérités, ont disparu pour faire place à des formes moulées et caressantes. Ainsi vêtue, la montagne n’a pas beaucoup moins de fierté ; mais elle a pour l’œil quelque chose de plus calme, de plus reposé. On a vu des arbres, des tilleuls, par exemple, dont le large dôme s’arrondit avec la même grâce hardie. La croupe d’un cheval sauvage, le port de son cou, les mouvemens de sa crinière ondoyante, ont aussi quelque analogie avec la noble pose de ce géant des Alpes immobile à l’horizon. Qui donc a fait ce chef-d’œuvre ? Les voyageurs n’y songent guère ; ils contemplent le tableau en oubliant l’artiste, et plus d’un sans doute croirait à quelque mystification, si on lui disait sans préambule que ce sont les jeux du vent et de la neige qui de ce bloc informe ont fait un modèle de grâce et de radieuse majesté.


II

Lorsqu’on quitte les hauteurs pour se rapprocher des vallées, les aspects ne tardent pas à changer. L’influence des agens atmosphériques se fait sentir de plus en plus. La neige perd graduellement sa finesse première. Les aiguilles dont elle était composée