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sur son passage ! Le choc n’est peut-être pas aussi brusque que celui des quartiers de rochers qui se précipitent des sommets, cependant il produit des effets bien plus puissans. Un bloc broie impitoyablement tout ce qu’il frappe ; mais il rebondit et ne frappe que de place en place. Tout au plus creuse-t-il un sillon sur le flanc de la montagne. Il en est autrement de l’arein : il tombe à la façon des cataractes ; c’est un tourbillon qui se rue d’en haut sur la plaine, une trombe de neige qui chasse devant elle une colonne d’air. Il ne broie pas ce qui lui fait obstacle, il l’enlève. Les plus grands arbres sont secoués et arrachés comme des roseaux, des pans de forêts sont fauchés à terre, les maisons sont rasées, les toits emportés, et les oiseaux eux-mêmes, malgré leurs ailes, une fois pris par la rafale, ne paraissent plus qu’une masse inerte, et sont lancés pêle-mêle avec les bardeaux et les poutres des chalets disloqués. Il y a ainsi des gouttes d’eau tombées en neige sur les cimes qui prennent de l’avance pour leur voyage à l’état solide. Toutefois cette fortune peut être envisagée comme un accident, et en général les eaux cristallisées que l’hiver accumule sur la montagne y demeurent, sauf à y subir des déplacemens incessans.

L’arein et le vent sont les deux agens de la distribution des hautes neiges alpines. L’action de l’arein tend à dégarnir les sommets au profit ou, si l’on veut, au préjudice des vallons ; elle est surtout puissante dans la zone où il tombe le plus de neige, entre deux et trois mille mètres d’altitude ; elle est en raison de la pente, ici considérable, ailleurs absolument nulle. L’action du vent est beaucoup plus générale, elle se fait sentir partout, et c’est sans aucun doute la plus importante des deux. Il n’est point rare que l’on voie flotter autour des cimes un léger nuage blanc qui se meut sans se déplacer, grandissant et diminuant comme par bouffées successives. Quand cela arrive au Mont-Blanc, les habitans de Chamonix disent qu’il fume sa pipe. À l’œil nu, rien n’est plus gracieux que ce panache flottant. Si on l’examine au télescope, on en distingue mieux encore l’agitation perpétuelle, et l’on dirait un jet continu de poussière d’argent ; mais ceux qui ont pu voir le phénomène de près savent ce que signifient ces apparences, et ne parlent qu’avec respect des montagnes qui fument leur pipe. J’ai eu l’occasion de m’en faire une juste idée ; c’était au sommet de la Tschierva, l’une des plus belles cimes de la Haute-Engadine. Le vent soufflait du nord ; mais, la montagne étant taillée à pic, il ne pouvait avoir de prise que sur l’extrême rebord des neiges qui en couronnent le faîte. Ces neiges elles-mêmes étaient presque partout recouvertes d’une mince couche de glace qui augmentait la résistance. L’ouragan triomphait de ces obstacles. Chaque rafale faisait éclater le vernis de glace et le