Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/383

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et ne s’arrêterait jamais, si elle ne rencontrait tôt ou tard quelque flanc de montagne. Cependant les nuages se dissipent, le ciel se rassérène, tout ce givre en poudre dont l’air était saturé repose enfin sur le sol, et y forme une couche plus ou moins épaisse, mais toujours très irrégulière. Ce givre ne fondra point. Le pâle soleil d’hiver peut avoir encore assez d’éclat pour le faire étinceler, il n’a pas assez de force pour le résoudre en eau ; il ne s’évaporera qu’en petite quantité, l’air est trop froid. Il attendra le printemps, mais il ne l’attendra pas en repos ; le vent l’a distribué d’une manière fort inégale. Sur les arêtes vives, il a été balayé ; dans les enfoncemens, il s’est entassé ; le long des parois abritées, il a glissé mollement, ne s’arrêtant qu’aux saillies capables de le retenir ; sur les parois exposées au vent, on le dirait fixé à une muraille. Telle corniche étroite sur laquelle par un temps calme il pourrait s’amonceler en talus régulier jusqu’à la hauteur d’un mètre aura servi de base à des entassemens bizarres de plusieurs mètres de hauteur ; sur telle pente de 60 ou de 70 degrés, de toutes parts entourée d’abîmes, où les chamois eux-mêmes ne se hasardent qu’en raidissant leurs jarrets d’acier, il aura formé de lourds édifices avec des avant-toits surplombans. Équilibres bien aventurés ! le vent qui les soutenait du côté de l’abîme va les abandonner à eux-mêmes, et tout ce qui ne repose pas sur une base solide se détachera bientôt et glissera. Peut-être même un vent du nord succédera-t-il aux vents humides qui arrivent de l’océan ; ceux-ci avaient favorisé une certaine répartition des neiges, ceux-là vont en favoriser une exactement contraire. Un ou deux jours plus tard, il recommence à neiger. Cette fois la neige ne tombe pas sur le sol nu, elle tombe sur la neige des jours précédens, qui a couvert les inégalités du terrain et créé partout des surfaces unies qui facilitent les glissemens. Le vent de la mer a repris le dessus, et il travaille de son mieux à détruire l’œuvre des vents du nord, mais pour leur préparer une besogne nouvelle. Quand ces derniers viendront à l’emporter à leur tour, ils auront à remuer des masses doubles ou triples. Pendant que ces alternatives se répètent, la montagne se charge d’un poids toujours plus grand, et bientôt, au lieu de chutes partielles, il se produit de grandes chutes générales, connues sous le nom d’areins ou avalanches d’hiver. Il y a des flancs entiers aboutissant à des précipices qui, par une nuit de tourmente, se vident ainsi tout d’un coup. La plupart de ces avalanches d’hiver tombent inaperçues dans les solitudes reculées des Alpes ; mais quelquefois la pente est directe depuis les hauteurs où l’équilibre s’est rompu jusque dans les vallons habités, et l’arein rencontre en chemin des forêts, des champs et des maisons. Malheur à tout ce qui se trouve