Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

glacier des Bossons. Elle aura fait l’expérience d’un voyage à l’état solide. Décrire le glacier, c’est raconter ce voyage[1]


I

L’eau qui part de la mer pour aller tomber sur les Alpes n’est pas toujours condamnée au voyage du glacier. Les chances sont diverses ; elles dépendent surtout de la saison. En été, les vapeurs se déposent sur les sommets sous forme de neige floconneuse, quelquefois de grésil ou même de pluie. La neige fond au premier beau jour, le grésil et la grêle de même, l’eau de pluie qui tombe sur les rochers coule en ruisseaux, celle qui est tombée sur les neiges et en a humecté la surface s’évapore avec elles, et ainsi toutes les gouttes d’eau que reçoit la montagne en juillet, en août, même en septembre, sont bientôt rendues à la liberté ; mais dès le mois d’octobre il ne pleut plus sur les hauteurs glaciaires, la grêle y devient rare, la neige n’y forme des flocons que lorsque souffle un vent chaud, et l’eau s’y condense presque toujours sous la forme de neige en poussière. Celle-ci ne diffère pas essentiellement de celle qui tombe dans la plaine par 8 ou 10 degrés au-dessous de zéro ; seulement elle est encore plus légère et plus sèche. Ce sont de fines aiguilles, des cristaux infiniment petits, dont chacun représente une de ces gouttelettes naissantes qui flottent dans les vapeurs des brouillards. Il n’y a ni fenêtres, ni portes, ni volets qui joignent assez bien pour qu’on en soit garanti. On a beau boucher et tamponner toutes les ouvertures, cette poudre impalpable pénètre partout. Non-seulement elle remplit les chalets, à l’ordinaire mal couverts et mal fermés ; mais elle entre en abondance jusque dans les chambres des hôtels les mieux bâtis, où elle s’étend sur les parquets en dépôts aussi réguliers que ceux de la poussière sur les meubles. L’eau de pluie, même quand elle fouette les vitres, n’est pas si prompte à s’insinuer.

Telle est la neige qui dès le mois d’octobre blanchit les pentes élevées des Alpes. Elle tombe à l’ordinaire vivement chassée par un vent d’ouest ou de sud-ouest. Aussi voltige-t-elle longtemps avant de se poser. Elle rase le sol, monte, descend, tourbillonne,

  1. Les lecteurs de la Revue n’ont pas oublié les articles publiés cette année (15 janvier, 1er février, 1er mars) par M. Ch. Martins sur les Glaciers actuels et la Période glaciaire. Nous nous sommes placé à un point de vue assez différent pour éviter une comparaison dangereuse. Si dans la dernière partie de cette étude nous touchons à la question scientifique, déjà traitée ici avec tant de compétence, c’est que nous le croyons nécessaire pour expliquer les divers aspects et la physionomie complexe du glacier, que nous nous sommes surtout efforcé de décrire.