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LE GLACIER

Chaque jour d’immenses quantités d’eau abandonnent sous forme de vapeur les réservoirs de l’océan et s’élèvent dans l’atmosphère. Emportées par les courans d’air, ces vapeurs retombent en pluie ou en neige, tantôt à la surface de la mer, tantôt sur les continens, où elles forment des ruisseaux, puis des rivières, puis des fleuves, qui trouvent sans peine le chemin de l’océan. Il s’établit ainsi une circulation d’eau et de vapeurs d’eau qui est aussi nécessaire à notre globe que la circulation du sang est nécessaire à l’homme. Un des voyages les plus intéressans que puisse faire une goutte d’eau est celui-ci : partir des régions chaudes de l’Océan-Atlantique, être transportée par le vent du sud-ouest jusqu’en pleine Europe, tomber sur les cimes des Alpes et retourner à la mer par le Rhin, le Rhône, le Pô ou le Danube. Chaque année des milliards de gouttes d’eau entreprennent ce voyage, et il a ceci de remarquable qu’il exige parfois beaucoup de temps et suppose toute une série de transformations. Si le vent est favorable, le trajet de Sainte-Hélène ou de tel autre point de l’Atlantique à la cime du Mont-Blanc n’exige que quelques heures. Le retour de Chamonix à la Méditerranée n’est ni long ni difficile, l’Arve et le Rhône vont bon train ; mais du sommet du Mont-Blanc jusqu’à la vallée de Chamonix les chances de retard sont nombreuses, et il n’est pas impossible que pour ces deux lieues un demi-siècle suffise à peine. Telle goutte d’eau tombée dans le voisinage du sommet à l’état de paillette de neige ne redeviendra goutte d’eau mobile qu’après avoir passé par toutes les transitions possibles entre la neige et la glace compacte et cheminé avec une lenteur dont la nature offre peu d’exemples du haut de la montagne jusqu’à l’extrémité du