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obstacles insurmontables à ce dessein, ils se rejetèrent sur un établissement à Morlaix. Dans un jour de découragement, ils avaient obtenu de Henri IV une sorte de demi-promesse à laquelle le monarque fut heureux de pouvoir opposer auprès de sa bonne sœur d’Angleterre l’indomptable résistance de ses sujets bretons. Si les projets du cabinet britannique ne tardèrent pas à inquiéter le patriotisme armoricain, les procédés des soldats du général Norris exaspérèrent plus vite encore un peuple honnête, outragé chaque jour dans ses croyances par des bandes d’iconoclastes. Une année s’était à peine écoulée que l’assemblée qui avait négocié par ses agens particuliers l’envoi de ces périlleux auxiliaires adressait à Henri IV des plaintes qui, si elles touchèrent son cœur, ne durent rien révéler à sa prévoyance.

« Sire, disaient les trois états en terminant la session de 1592, les gens de guerre étrangers qui ont entrée en ce pays sous votre autorité ont profané, pillé et brûlé les églises, rançonné et massacré les prêtres, répandu le sang jusque sur l’autel, foulé le saint-sacrement aux pieds. Plaise à votre majesté ordonner à messieurs ses lieutenans-généraux audit pays de maintenir et faire garder inviolablement les droits, franchises et libertés de l’église catholique, conforter les ministres d’icelle, et présentent vos sujets dudit pays très humble requête à Dieu qu’il lui plaise, sire, vous inspirer tellement par l’infusion de sa sainte grâce que vous embrassiez bientôt la religion catholique, apostolique et romaine.

« La licence des gens de guerre est telle et si déréglée sur votre pauvre peuple qu’ils n’ont omis ni épargné aucune espèce de violence pour l’épuiser, et ont exercé toutes les cruautés que le fer, la corde et le feu leur ont pu administrer. Après avoir misérablement tourmenté et géhenné les paysans en leur personne, ont pillé et brûlé les maisons et meubles, pris le bétail ou icelui rançonné par tête, ont violé femmes et filles sans aucune considération de l’âge, ont contraint les maris de racheter leurs femmes et réduit votre peuple à telle extrémité qu’il a été contraint d’abandonner maisons et familles et chercher l’espoir de sa sûreté aux forêts entre les plus cruelles bêtes, aimant mieux habiter avec les animaux sauvages que de devenir prisonniers aux mains des gens de guerre par faute de moyens de se racheter[1]. »

Mais, tandis que le parti royaliste traçait un tableau si sombre des violences particulièrement imputables aux auxiliaires étrangers, il se trouvait conduit par l’imminence du péril à tenter les derniers efforts pour retenir ceux-ci sur le sol qu’ils ravageaient si cruellement, et la même contradiction se produisait presque au

  1. Registre des états de Rennes. Remontrances au roi, 5 janvier 1593.