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allaient soulever, devaient donner parfois une sorte de vigueur farouche à leur parole.

Ce Régulus (dont j’ai dit un mot) nous est bien connu par la correspondance de Pline. Il fut l’un des délateurs célèbres de l’époque de Néron et de Domitien, comme Afer de celle de Tibère. Sa naissance était illustre ; mais son père, après s’être ruiné, avait été proscrit, et il ne laissa guère à ses enfans qu’un grand nom, ce qui n’était alors qu’un héritage dangereux. Le fils était très décidé à ne pas rester pauvre. Au grand scandale des grands seigneurs ses confrères, il se fit délateur, et pour imposer silence aux méchans bruits il ne trouva rien de mieux que de faire peur à tous ceux qui pouvaient être tentés de le blâmer. On avait conservé de sa jeunesse des souvenirs effrayans. Il passait pour avoir conseillé à Néron de ne pas se fatiguer à tuer les gens l’un après l’autre quand il pouvait d’un mot anéantir tout le sénat. On racontait qu’après la mort de Galba il avait payé les assassins de Pison, qu’il détestait, qu’il s’était fait apporter sa tête, et qu’il l’avait mordue. Ce qui faisait sa force, c’était son indomptable volonté. Il voulut être orateur ; la nature ne l’avait pas préparé à le devenir : elle lui avait donné une constitution débile, une voix faible, une parole embarrassée, point d’invention, point de mémoire. On disait de lui, en retournant la définition célèbre de Caton, qu’il était un malhonnête homme qui ne savait pas parler. Cependant il travailla avec tant d’opiniâtreté à vaincre ces défauts que beaucoup de gens finirent par le trouver éloquent. Il voulut être riche, et comme il ne doutait de rien, il avait fixé d’avance le chiffre de sa fortune. C’étaient 60 millions de sesterces (12 millions de francs) qu’il lui fallait. La somme était forte, mais il avait plus d’une ressource pour se la procurer. À son métier de délateur il en joignait un autre dans lequel il était passé maître : il captait les testamens. Cette occupation lucrative était alors celle de beaucoup de gens. Depuis qu’on se mariait le moins possible pour éviter les embarras de la famille, ces grandes fortunes de célibataires qui restaient aux plus habiles tentaient beaucoup d’ambitieux. De tous ces coureurs d’héritages, Régulus était un des plus intrépides et des plus adroits. Il osait tout et ne se rebutait de rien. Pline raconte à ce sujet quelques anecdotes piquantes. La veuve de ce Pison que Régulus avait poursuivi jusqu’après sa mort était très malade ; il a l’audace d’aller la trouver, il s’assied près de son lit, il lui dit qu’il a fait des sacrifices et consulté un devin sur sa santé, que les réponses sont favorables et qu’elle est sûre de guérir. La pauvre femme, flattée dans ses dernières espérances, s’empresse de léguer à un ami aussi tendre une partie de ses biens. Velléius Blésus, à son lit de mort,