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tapageuse qu’elle n’échappait pas alors au ridicule. Quand on parlait de conquêtes morales, il haussait les épaules. On n’a pas oublié ce passage d’un discours prononcé en octobre 1862 : « Ce qui importe à l’Allemagne, ce n’est pas le libéralisme de la Prusse, c’est sa force. Elle doit l’accroître et la concentrer pour saisir le moment favorable qu’on a déjà laissé échapper. Nos frontières ne sont pas celles d’un état bien constitué. D’ailleurs souvenez-vous de ceci, ce n’est point par des discours et des votes que se décideront les grandes questions, — ç’a été l’erreur de 1848 et de 1849 de le croire ; — ce sera par le fer et le sang. »

Il ne suffisait pas de tracer ce retentissant programme d’une voix de Jupiter tonnant, il fallait l’exécuter ; or les difficultés, les impossibilités même semblaient se dresser en foule contre lui. Dès le début, l’audacieux ministre se trouvait pris dans une impasse. Pour rester au pouvoir, il devait s’appuyer sur le parti féodal et sur le roi, qui voulait obstinément la réorganisation de l’armée, le rêve de sa vie. D’autre part, pour conquérir la faveur de l’Allemagne, il devait gouverner avec l’appui de la chambre, et celle-ci ne voulait à aucun prix voter le projet du roi. Pour conjurer le conflit qui allait entraver ses projets en lui enlevant toute chance de popularité, il essaya de se réconcilier avec l’opposition. Il lui présenta un jour, au sein d’un comité, un rameau d’olivier cueilli récemment à la fontaine de Vaucluse en disant : « J’ai rapporté ceci d’Avignon pour le présenter au parti populaire comme un gage de paix, mais je vois que le moment n’est pas encore favorable. » Ses tentatives demeurant infructueuses de ce côté, il résolut de marcher seul en avant à la réalisation de ses projets. Le grand obstacle à l’intérieur était l’Autriche, qui, déjà relevée de ses échecs en Italie, s’essayait à la vie constitutionnelle, et qui, soutenue par tous les conservateurs catholiques et protestans, venait d’enlever à l’influence prussienne même la Hesse et le Hanovre, tenant ainsi toute la confédération dans sa main. Pour l’emporter sur un si formidable adversaire, il fallait d’abord une puissante armée, ensuite un allié sûr et enfin sinon la complicité, au moins la tolérance des grandes puissances. C’est faute d’avoir réuni ces élémens de succès que M. de Radowitz avait misérablement échoué en 1850 ; maintenant il s’agissait de mieux préparer le terrain.

Quant à l’armée, M. de Bismarck pouvait s’en fier au roi. L’allié était tout indiqué, c’était l’Italie et peut-être la Hongrie[1] ; mais

  1. Fait à noter, les Hongrois intelligens étaient favorables à l’unité germanique. Le premier écrivain hongrois de ce temps-ci, M. le baron Eötvös, aujourd’hui ministre de l’instruction publique, s’est nettement prononcé en ce sens dans un écrit publié avant les derniers événemens. C’était logique. L’Autriche, expulsée de l’Allemagne, devait s’appuyer sur la Hongrie en lui rendant la liberté ; victorieuse en Allemagne, elle ne cédait rien aux Hongrois. C’est pour ce motif que les Magyars ne se sont guère affligés de la défaite des armées impériales. Aiment-ils pour cela la Prusse, comme on l’a fait dire à M. de Werther ? Pas précisément, car la reconnaissance pour les services rendus n’est point une vertu à l’usage des peuples. Ils se souviennent à peine des événemens de la veille, — ne sommes-nous pas comme eux ? — et n’agissent que d’après les sentimens et les situations du moment. Il est puéril de se faire illusion à cet égard.