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succéder à la joie du premier abord le trouble et l’anxiété du second mouvement. Et c’est sur cette impression de navrante mélancolie que le premier acte se termine. Au second, l’action se déploie, et l’on devine à quels effets d’épouvante et d’émotion doit atteindre, ainsi ménagée, la grande scène, prévue de loin, du vivant et de la morte.

Au théâtre, le fantastique n’agit qu’autant qu’il a été habilement préparé. Amener l’effet et, quand arrive l’instant de le produire, n’en user qu’avec la discrétion la plus sévère, c’est l’art des maîtres, l’art immense d’un Mozart dans l’apparition du commandeur, où les trombones sont introduits pour la première fois, et avec quelle puissance alors et quelle inouïe solennité ! À ce compte, il ne saurait y avoir d’opéra fantastique en un acte. Ce n’est pas la lumière électrique qui fait le spectre, c’est l’imagination et la science du poète. Le fantôme de cette jeune fille, ainsi évoqué à brûle-pourpoint, dans la même heure, dans le même décor et sans qu’on ait eu le temps de prendre au sérieux l’anecdote, produit sur une salle juste la même somme de terreur que tel personnage d’une féerie. Tant d’autres données peuvent servir de thème à ce qu’on appelle au théâtre un lever de rideau, que j’estime qu’on ne se fâchera jamais assez de voir les plus grands, sujets de la poésie mis en œuvre de la sorte et dépensés en petite monnaie. D’ailleurs, même aux temps où la mythologie florissait le plus à l’Opéra, ces réductions en un acte de l’antique n’ont jamais réussi ; Hérold, le grand Hérold de Zampa et du Pré-aux-Clercs, écrivit jadis une Lasthénie ; qui s’en souvient ?

Retournons au poème de Goethe, à la Fiancée de Corinthe, et voyons ce qu’aurait pu donner à l’Opéra ce second acte. Un chœur d’abord. C’est la nuit, Démostrate installe ses hôtes. Grecs et Romains se retirent, et bientôt tout repose dans cette maison, où les dieux antiques et la croix règnent ensemble côte à côte sous le même abri. Un homme veille pourtant, c’est Maahâtes, le fiancé de Philinnium. Seul dans cette chambre que la lune éclaire de reflets livides, il s’entretient avec ses souvenirs, rêve tout haut de celle dont l’absence est un mystère. Nul encore n’a parlé, et déjà il sent qu’un destin sinistre l’enveloppe. Il appelle. On frappe doucement, la porte s’ouvre, Philinnium apparaît sur le seuil au milieu d’un nimbe de clarté, pâle, vêtue de blanc, un scapulaire noir sur sa poitrine où brille une croix d’argent, la tête ceinte de cyprès et voilée. Machates s’élance pour l’embrasser, puis soudain recule.


PHILINNIUM. — D’où te vient cet effroi ? Ta prière n’est-elle pas exaucée ?

MACHATES, la contemplant toujours et de plus en plus troublé. — Cette pâleur ! Ce silence ! Es-tu Philinnium ?… Et ta main, ta main si froide !

PHILINNIUM. — Ne t’éloigne donc pas. (Montrant son cœur.) Là du moins la chaleur ne s’est pas éteinte.

MACHATES. — Comme ces deux ans t’ont changée ! La flamme de ta passion où s’est-elle envolée ? Plus d’élan, plus d’ardeur, et cet air de mystère, cet énigmatique silence qui tantôt m’effrayait chez tes parens, et qui, toi aussi, t’environne ! (Elle s’achemine vers le lit de repos et s’assied. Se rapprochant et lui prenant la main.) Ton regard si tendre et si doux qui jadis enivrait l’amant, je ne le retrouve plus ; à cette heure, c’est un autre regard ! Il semble que