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droit de naissance, ayant les États-Unis pour voisins, le Canada devait sortir de la sujétion. Des raisons économiques que nous indiquerons tout à l’heure, de vieilles et de nouvelles rivalités, pardessus tout un vif sentiment de l’individualité canadienne, l’ont empêché de chercher l’union avec les États-Unis. L’indépendance sous la souveraineté nominale de l’Angleterre ménageait plus de choses à la fois, et répondait mieux à la réalité des sentimens et des situations ; mais cette indépendance est une indépendance jalouse. Quand le gouvernement anglais conseille d’établir un impôt foncier pour subvenir aux dépenses des travaux publics, le parlement canadien y substitue un droit de douane de 20 pour 100 sur les marchandises anglaises. Quand, au milieu de la dernière guerre civile des États-Unis, l’Angleterre réclame l’armement du Canada, le parlement canadien rejette le bill sur la milice. Au contraire le protectorat s’exerce avec des ménagemens infinis. Après le rejet du bill sur la milice, après ce coup si rude porté par le Canada à la politique de l’Angleterre, le ministre des colonies parle ainsi dans sa dépêche : « Si j’osais suggérer une opinion au gouvernement et au parlement canadiens,… si je ne craignais de paraître intervenir indûment dans les affaires de la province, j’oserais suggérer, etc.. » Ce qui donne aux rapports du Canada et du gouvernement anglais un air de froideur et presque d’hostilité, c’est d’un côté la conviction du Canada que l’Angleterre ne ferait pas la guerre aux États-Unis pour un intérêt purement canadien, et de l’autre la pensée de l’Angleterre que le Canada ne ferait pas la guerre aux États-Unis pour un intérêt purement anglais. L’union n’en est pas moins solide, car ni le Canada ni l’Angleterre ne désirent la rompre.

En louvoyant avec habileté, le gouvernement anglais peut vaincre les susceptibilités que provoque chez les Canadiens la nouveauté de l’indépendance. Peut-il triompher également des difficultés matérielles inhérentes à la situation du Canada ? Elles sont aussi simples à exposer que compliquées en elles-mêmes. La navigation du Saint-Laurent est interrompue chaque hiver par les glaces. Alors Portland, dans l’état du Maine, devient le port de Montréal, et New-York celui de Toronto. Pendant quatre mois, les deux tiers des produits canadiens doivent attendre ou passer par le territoire des États-Unis. D’un autre côté, Chicago, la principale place de commerce du nord-ouest des États-Unis, située à l’extrémité méridionale du lac Michigan, n’a de communication non interrompue avec la mer que par les eaux canadiennes, et plus loin par l’ouest les établissemens anglais de la Rivière-Rouge ne sont mis en rapport avec le reste du monde que par les bateaux à vapeur et les chemins de fer américains. Aussi tous les travaux publics du Canada, projetés, en cours d’exécution ou partiellement achevés,