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occupations d’un gentilhomme campagnard. Se rangeant sans hésiter dans le parti qui, pour conserver et accroître les privilèges de l’aristocratie, prétendait maintenir intact le pouvoir absolu de la royauté, il se fit remarquer par la fougue de ses sentimens rétrogrades et par ses attaques furieuses contre les idées nouvelles d’égalité politique et de liberté constitutionnelle.

Après 1848, il ne fut élu ni au parlement de Berlin ni à celui de Francfort. Retiré à la campagne, le triomphe de la révolution, l’humiliation du roi aux journées de mars et l’apparition du drapeau tricolore allemand remplirent son âme d’indignation et de fureur. « Le seul moyen d’en finir, disait-il, est de brûler toutes les villes, ces foyers de la révolution. » En 1849, lorsque le roi Frédéric-Guillaume eut octroyé une constitution nouvelle, M. de Bismarck fut élu d’abord à la chambre prussienne, ensuite à ce parlement d’Erfurt qui devait fonder la confédération restreinte. Avec cette logique inflexible propre aux partis extrêmes, il blâmait énergiquement ces tentatives malhabiles et impuissantes qui forçaient le roi à s’allier au parti populaire. « Ce drapeau tricolore, disait-il aux ministres, dont vous avez fait orner nos bancs, ne sera jamais le mien, car c’est celui de l’insurrection et des barricades. » « La couronne impériale de Francfort, disait-il encore, est sans doute très brillante ; mais, pour obtenir l’or dont on la ferait, il faudrait d’abord fondre la couronne de Prusse, et je ne crois pas que cette transformation réussisse. » Il n’est pas une des aspirations nationales de l’Allemagne qu’il ne combattît avec rage. Il défendait les droits du Danemark et condamnait la guerre du Slesvig. La Prusse, en soutenant le peuple dans la Hesse, trahissait le principe monarchique. Il fallait, suivant lui, s’allier à l’Autriche, se subordonner à elle, et de commun accord travailler à extirper tous les fermens révolutionnaires. « Je ne puis comprendre, disait-il, qu’on conteste à l’Autriche le titre de puissance allemande. N’est-elle donc pas l’héritière de l’ancien empire germanique, et n’a-t-elle pas en maintes circonstances porté avec gloire l’épée de l’Allemagne ? » Il ne regretta pas la journée d’Olmutz, si amère pour tous ceux qui voulaient placer la Prusse à la tête du mouvement unitaire, et pendant les sessions de 1850 et 1851 à Berlin il conquit la faveur du roi par le fanatisme arrogant de ses opinions monarchiques et par sa haine implacable et bruyante de toute nouveauté. En mai 1851, il fut envoyé à la diète de Francfort pour y représenter la Prusse. En ce temps de restauration de tous les abus, il était l’homme qui convenait à cette place.

Jusqu’à cette époque, M. de Bismarck ne nous apparaît que comme un type outré de ce parti des hobereaux (Junkerpartei), qui