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Après trois jours de repos, on se met à la recherche du sentier des émigrans. On le découvre, on le suit à la piste sous la conduite de l’Assiniboine, dont la sagacité n’est jamais en défaut, et dont le courage est en maintes occasions le salut de la troupe. On ne choisit pas sa direction ; on gravit les montagnes, on descend dans les vallées sur les traces d’inconnus qui eux-mêmes allaient à l’aventure. On traverse les rivières qu’ils ont traversées ; on fait des radeaux là où ils en ont fait ; on passe sur les digues construites par les castors quand ils y ont passé. Cela dure six jours. Les provisions s’épuisent ; mais une chose rassure, le sentier va toujours vers l’ouest, c’est-à-dire dans la direction du Cariboo. Tout à coup le sentier finit au pied de rochers à pic, et les traces disparaissent. Évidemment les émigrans ont été rebutés par les difficultés de la route, ils ont désespéré d’atteindre le Cariboo. Dans ce cas, ils se sont rabattus vers le sud pour se diriger sur Kamloop. La présomption est justifiée ; à une lieue en arrière, on retrouve un nouveau sentier dont la direction est au sud. On le suit quatre jours, et le dixième jour depuis le départ de la Cache de la Tête jaune on arrive à un camp couvert de copeaux, de débris de selles et d’ossemens d’animaux. Sur un arbre dont l’écorce a été enlevée est écrit au crayon : « camp du massacre des bestiaux des émigrans. » Il n’y a pas d’illusion à se faire, les émigrans, après avoir désespéré d’atteindre le Cariboo, ont désespéré d’atteindre Kamloop par terre. Ils ont construit des radeaux et ont pris le parti d’aller où le courant de la rivière les conduirait. Que faire ? On est sans outils, on n’a plus que pour trois jours de vivres. Si l’on abandonne ses chevaux, on abandonne en même temps la dernière ressource qu’on ait pour se nourrir. D’un autre côté, comment trois hommes, une femme, un enfant et un vieillard, avec une seule cognée, pourront-ils s’ouvrir une route dans la forêt, quand soixante émigrans valides et munis de haches y ont renoncé ? M. Cheadle va en reconnaissance. La forêt lui paraît impraticable. On ne se tient pas pour battu. L’Assiniboine part à son tour. Il a gravi le sommet d’un pic ; de là il n’a aperçu dans toutes les directions que les ondulations d’une forêt sans clairières. Toutefois il lui a semblé que les montagnes s’abaissaient vers le sud et qu’il y avait de ce côté moins de pics couverts de neige. Il rapporte sur son dos un jeune ours qu’il vient de tuer. On mange de la viande fraîche pour la première fois depuis le départ de Jasper, et à la fin du repas l’Assiniboine dit en français : « Nous arriverons ! »

Ici commence une lutte contre l’inconnu dont les acteurs ne peuvent prévoir la durée et dont l’issue est la vie ou la mort. On ignore tout. On ne sait pas si la carte qu’on a marque exactement la position relative de la Cache de la Tête jaune et de Kamloop. On ne