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coulent vers l’ouest. Le sixième, on a une joie plus grande encore ; on reconnaît que la roche a changé de nature, et qu’elle ressemble à la roche d’ardoise sur laquelle reposent au Cariboo les terrains aurifères. Bientôt on voit arriver du nord-ouest le Frazer bondissant à travers les rochers. Le fleuve fait un coude, traverse le lac Moose et court à l’ouest ; après s’être brisé contre un mur de rochers à pic, il tourne brusquement au nord, suit cette direction pendant plusieurs degrés de latitude, ensuite il revient au sud, et entoure les terrains aurifères du Cariboo avant de se jeter dans la mer, deux cents lieues plus loin, en face de l’île de Vancouver. La vallée du Frazer était inondée, et des deux côtés les eaux battaient le pied de la montagne. Trois jours durant, il fallut marcher dans le lit du fleuve. Tantôt les chevaux de bât voulaient gagner la terre ferme, glissaient et retombaient en arrière, tantôt ils se laissaient entraîner par le courant. La fatigue fut extrême. Les provisions furent mouillées, et l’on perdit le cheval qui portait la poudre. Enfin la rive devint praticable, et le 17 juillet, treize jours après le départ de Jasper, on atteignit la Cache de la Tête jaune.

La Cache de la Tête jaune est une vallée de cinq ou six lieues de long et d’une ou deux lieues de large qu’entourent de tous côtés des pics couverts de neige. Elle s’étend du nord au sud ; le long de l’extrémité nord coule le Frazer, et au sud s’avancent les premiers mamelons de la ligne de montagnes dont le sommet est le point de partage entre les eaux de la Columbia et les eaux du Thompson. A en croire les appréciations géographiques de nos voyageurs, la Cache de la Tête jaune serait le centre et pour ainsi dire le noyau creux de tout le système de montagnes de la Colombie anglaise et de l’Oregon. Au point de vue de leur situation personnelle, c’était comme une de ces fosses où se prennent les animaux de la forêt. Une fois tombé dans la Cache de la Tête jaune on ne savait comment en sortir. Il y avait bien deux familles d’Indiens jetées là par des circonstances dont elles avaient perdu la mémoire ; mais quel secours pouvaient donner ces malheureux, abrutis par la misère et par l’ignorance ? Leur unique nourriture était pour le moment de petites poires sauvages de la grosseur du fruit du cormier. Ils avaient entendu parler de terrains où l’on trouve de l’or ; ils croyaient que le Cariboo devait être à six journées de marche et le fort Kamloop à dix ; mais ils n’avaient jamais fait la route, et la supposaient très difficile. Ils ne savaient qu’une chose, c’est qu’il serait insensé de se livrer sur un radeau aux rapides du Frazer. On n’était déjà plus en état de retourner en arrière. Les chevaux avaient perdu leur vigueur, les provisions faisaient défaut. Il n’y avait qu’une chose à faire, retrouver et suivre la route tracée par les émigrans l’année précédente. Peut-être ainsi arriverait-on au Cariboo.