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que pour y enfoncer plus profondément l’autre. Ainsi le mouvement unitaire devenant plus impatient et plus universel à mesure que l’horizon de l’Europe se couvre de nuages plus menaçans, l’Autriche remise de ses défaites et faisant sentir partout le poids de son autorité reconquise, la Prusse isolée, dévorée d’ambition, sombre, n’oubliant ni sa « mission historique, » ni sa blessure d’Olmutz toujours saignante, mais comme Sparte se transformant en un camp, exerçant sa vigoureuse jeunesse, préparant ses armes de précision et ceignant ses reins pour le jour de la lutte, enfin les moyens états inquiets, effarés, se portant tantôt à droite, tantôt à gauche, dans l’espoir de maintenir par ce jeu de bascule l’équilibre qui sauvegarde leur autonomie, tel était le spectacle que présentait la confédération vers la fin de 1862, quand apparut sur la scène un personnage qui allait résoudre le problème insoluble de l’unité par le moyen employé jadis à défaire le nœud gordien. Pour suivre désormais le mouvement unitaire et pour essayer d’en deviner l’issue, il faut connaître les faits et gestes de M. de Bismarck et pénétrer, s’il se peut, sa politique.


II

M. Otto von Bismarck- Schönhausen est ne le 1er avril 1815, d’une famille ancienne de l’Altmark qui a toujours eu quelques-uns de ses membres engagés dans la carrière des armes. Son père, ancien capitaine de cavalerie, lui fit étudier le droit et les sciences économiques et administratives aux universités de Göttingue, de Berlin et de Greifswald. C’est dans cette dernière ville qu’il s’acquitta, en qualité de « volontaire pour une année, » du service obligatoire dans le corps des chasseurs. Le jeune Bismarck semble s’être distingué surtout par son aptitude pour la gymnastique et l’escrime. Il recherchait les duels, distraction favorite des étudians allemands à cette époque, s’en tirait en bretteur exercé, et plus d’un de ses adversaires politiques au parlement de Berlin portait, disait-on, la cicatrice des coups de rapière reçus de sa main. Son humeur batailleuse, sa haute taille, sa force corporelle, semblaient le prédestiner à devenir officier de cuirassiers. C’est donc par une sorte d’affinité élective qu’il en porte si volontiers l’uniforme. Cependant il entra dans la carrière administrative, où il exerça des fonctions assez modestes à Berlin d’abord, puis à Aix-la-Chapelle. En 1845, à la mort de son père, il se fixa à la campagne pour faire valoir les propriétés rurales dont il venait d’hériter dans les provinces de Saxe et de Poméranie. Les états-généraux de 1847, où il représenta la noblesse de son canton, vinrent l’arracher aux utiles