augmente. Le renard argenté, dont la peau se vend 70 livres sterling, c’est-à-dire 1,750 francs, dans les comptoirs de la compagnie, s’est retiré vers les solitudes septentrionales. Du temps où le castor avait une grande valeur, on a presque détruit la race de ces animaux ; par suite de l’invention des chapeaux de soie, la peau de castor ne se vendant plus que 1 franc 25 centimes sur le territoire de la compagnie, le castor redevient commun. Ainsi de tous les autres animaux à fourrures ; ils disparaissent ou se multiplient suivant qu’on donne de leur peau, en Europe ou en Chine, un prix plus ou moins considérable. Non-seulement le trappeur détruit la récolte de l’avenir, mais le fruit de son travail lui est souvent enlevé par un ennemi plus destructeur que lui-même. Lorsque, après vous être traîné plusieurs jours sur la neige, vous arrivez à vos pièges, vous les trouvez renversés. Il a passé par là un animal qui a relevé les assommoirs et s’est emparé des bêtes qui y étaient prises sans jamais se laisser prendre lui-même. Cet animal, de la race des gloutons, appelé par les Anglais wolverine et par les Indiens karkajo, est la terreur du trappeur. La ruse de l’Indien ne peut lutter contre la malice du karkajo. Le karkajo examine tout, voit tout, comprend tout. L’Indien a beau lui préparer des surprises mortelles, cacher des ressorts ou des canons de fusil qui doivent partir dès qu’on remuera les trappes ; le karkajo écarte le ressort ou le canon de fusil avant de toucher à la trappe. Il a suivi le trappeur, il l’a regardé faire. Dès qu’on reconnaît les traces d’un karkajo, tout est dit ; il faut retourner à sa hutte, la saison est perdue. La ruse des civilisés n’a pas été plus heureuse que celle des sauvages. M. Cheadle, ayant introduit par un tuyau de plume de la strichnine dans les morceaux de viande qui devaient servir d’appât, s’aperçut, lorsqu’il alla visiter les pièges, que tous les morceaux empoisonnés avaient été laissés de côté. A partir du mois de décembre, nos voyageurs ne parlent guère de la chasse aux fourrures. La fatigue, le froid ou le karkajo semblent les avoir dégoûtés de ce passe-temps maussade, et ils descendront, pour se distraire ou pour se nourrir, jusqu’à prendre des rats musqués dans leurs trous. Vanité de l’ambition ! on comptait poursuivre à travers les forêts le grand daim du Canada, et l’on s’accroupit devant un trou de rat musqué pour y fourrer une perche à pointe dentelée. Aussi avec quelle ardeur appellent-ils le printemps ! Des vols d’oiseaux en annoncent l’approche. Le nombre des passages est si grand que le ciel en est obscurci pendant le jour, et que durant la nuit le bruit du battement des ailes interrompt le sommeil. On va à la recherche des chevaux, que l’on avait lâchés dans la forêt au commencement de l’hivernage en leur laissant le soin de pourvoir eux-mêmes à leur subsistance, et l’on se met en route.
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