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possède, et cela simplement pour vous amuser ? Toutefois, comme je suis certain que vous êtes grands, généreux et bons, je vous donne la permission d’aller où vous voudrez et de chasser à votre gré. Quand vous viendrez dans mon camp, vous y serez bien reçus. » Le discours de l’Indien soulevait des questions si délicates, que le futur membre du parlement pour le west riding du Yorkshire trouva prudent de ne pas argumenter. Il se contenta de complimenter le chef sauvage, et couronna sa réponse par une offre libérale de couteaux et d’autres présens ; mais ce n’était pas l’affaire. En bon Cree, la harangue du chef signifiait : « Donnez-moi du rhum. » Les Anglais ne cédèrent pas, et le chef Cree se vengea de son désappointement en publiant dans toute la prairie que lord Milton était un homme sans naissance et sans éducation. Il était temps de décamper, un plus long séjour eût amené une collision ; les travaux de l’hivernage devaient être entrepris sans délai. On retourna donc au fort Carleton, et l’on se dirigea sans perdre de temps vers l’ouest-nord-ouest, pour s’arrêter quatre-vingts milles plus loin, sur les bords du lac du Poisson-Blanc, dans un lieu appelé en français par les demi-sang la Belle-Prairie.

Jusqu’ici tout marche à souhait, et l’hivernage lui-même se passera aussi heureusement que possible. Le lieu est bien choisi, on dirait un parc anglais du temps où les dessinateurs de parcs en Angleterre imitaient la nature : au nord, la forêt sans limites qu’habitent les animaux aux précieuses fourrures ; à deux ou trois journées au sud, les prairies fréquentées par les bisons ; au fond de la vallée, un lac poissonneux ; tout autour, un pays coupé favorable à la rencontre du menu gibier. En cas de nécessité pressante, on peut aller chercher du secours au fort Carleton. Si le thermomètre tombe plus d’une fois à 40 degrés centigrades au-dessous de zéro, la hutte ou log house construite sous la direction de La Ronde résiste à toutes les bourrasques. Il n’y a pas mauvaise compagnie dans les environs. Les Indiens de ce district sont les Cree appelés Cree de la forêt. Ils habitent par familles dans des huttes isolées, et sont beaucoup plus doux que les Cree de la prairie, qui restent en troupe et sont toujours à cheval à la poursuite des bisons. Les Cree de la forêt vivent du commerce des pelleteries. Ils vendent les peaux aux facteurs de la compagnie, et reçoivent en échange les couvertures, les ustensiles, les armes et les munitions dont ils ont besoin. Ces gens ne seraient pas trop misérables sans la dureté du climat, et si la condition du chasseur n’était de passer continuellement de l’extrême abondance à l’extrême famine. Toutefois, bien que lord Milton et M. Cheadle ne le disent pas, on sent que rien au monde ne leur aurait fait passer un second hiver sur le territoire de la Compagnie de la baie d’Hudson. L’ennui les ronge, et le froid de l’ennui pèse