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lord Milton, le fils aîné de lord Fitz-William, c’est-à-dire l’héritier d’une des plus grandes fortunes d’Angleterre, et un jeune médecin, le docteur Cheadle, ont la fantaisie d’aller vivre en sauvages sur le territoire de la Compagnie de la baie d’Hudson. Ils y passent l’hiver dans une hutte, au milieu des neiges, chassant le bison au sud et la martre au nord, et lorsqu’ils se sentent suffisamment endurcis à la fatigue et aux privations, ils s’élancent à travers les Montagnes-Rocheuses, et veulent, en dépit de tous les obstacles, découvrir une route directe entre le Canada et les terrains aurifères de la Colombie anglaise.

Sans doute les beaux temps de la vie sauvage sont passés. Sur l’immense territoire gouverné par la Compagnie de la baie d’Hudson, et qui égale en étendue les États-Unis, il n’existe que des débris de peuplades. Comme le castor, l’Indien a perdu ses instincts en cessant de vivre en société. Pour rencontrer de vrais sauvages, il faut aller chez les Sioux et parmi les Indiens qui n’ont pas cessé d’être en guerre contre les blancs. D’un autre côté, lord Milton et M. Cheadle se font sauvages plus que de raison. En dépouillant les vêtemens des civilisés, ils en ont rejeté les pensées. Leur prétention est d’être uniquement des marcheurs et des chasseurs. Ne demandez pas à lord Milton et à M. Cheadle d’être des philosophes parce qu’ils ont ou l’eau de la forêt avec des sauvages et le cocktail avec des mineurs : leur livre perdrait son originalité s’il cessait d’être pédant dans les choses frivoles et léger dans les choses sérieuses ; mais vous y trouverez ce que peu de voyageurs vous donnent, la reproduction des faits sans mélange de pensées étrangères. Ces désœuvrés d’ailleurs sont ailés où ne vont pas les savans ; ils racontent ce que les politiques ne racontent pas. Par le seul fait de leur passage dans ces lieux écartés, ils ont déchiré le voile dont on les couvrait. Un peuple nouveau, qui par le français, formé des débris d’autres peuples, habite les vastes solitudes qui s’étendent du Lac-Supérieur aux Montagnes-Rocheuses. Avant d’entrer dans la partie héroïque de l’expédition, faisons connaissance avec ces Indiens qui ne sont plus des sauvages et avec ces demi-sang qui sont encore des civilisés ; nous terminerons en exposant les conditions de la lutte qui se prépare entre l’Angleterre et les États-Unis sur une terre si longtemps défendue par l’éloignement et par le silence.


I

Notre point de départ sera le fort Garry, situé au confluent de la Rivière-Rouge et de l’Assiniboine, sur le territoire de la Compagnie de la baie d’Hudson, au nord du jeune état du Minnesota, à une distance à peu près égale de l’embouchure du Saint-Laurent dans