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lignes officielles, au nez scrupuleusement droit et aux lèvres boudeuses, en mémoire de l’Antinoüs.

L’art du sculpteur ne consiste donc pas dans un effort systématique pour déguiser le vrai et en réduire les apparences variées à un mode d’expression uniforme ; il consiste, comme le dit M. Charles Blanc, « à élever la vérité individuelle jusqu’à la vérité typique et la vérité typique jusqu’à la beauté. » Que l’artiste ait à représenter un paysan ou un héros, une vierge ou une matrone, un cheval ou un lion, il figurera non-seulement les particularités qui distinguent le modèle donné, mais encore les traits caractéristiques de la race et du type. Il définira les attributs de la beauté robuste ou gracieuse, élégante ou terrible, — comme dans son admirable statue de Voltaire, dans ce portrait d’un octogénaire décrépit, Houdon aura su formuler l’idéal de la vieillesse et de la malice, et résumer la physionomie de tout un siècle aussi bien que la vie étincelante d’un esprit.

Il est très difficile, je le sais, de s’arrêter à temps dans cette double poursuite de la vérité apparente et de la vérité cachée. Où la docilité aux exemples de la nature commence-t-elle à devenir un danger ? A quel point précis au contraire la volonté d’idéaliser les choses dégénère-t-elle en parti-pris blâmable et en convention ? Il y aurait de la témérité à prétendre marquer irrévocablement ces limites. A peine les œuvres des grands artistes eux-mêmes permettent-elles de les entrevoir, et l’on courrait le risque de recevoir quelque démenti de Michel-Ange, si l’on poussait un peu trop loin à cet égard le dogmatisme esthétique. Ce qu’il convient seulement d’indiquer à titre de principe, c’est, dans l’imitation, l’alliance du caractère qui exprime la vie personnelle et de la beauté qui en généralise l’image ; c’est l’obligation pour le sculpteur de tout subordonner aux lois de cette imitation choisie, depuis la forme sobrement vraisemblable jusqu’au mouvement et au geste qui doivent, comme dans le Discobole du Vatican ou dans le Faune de la galerie de Florence, annoncer et promettre l’action plutôt que la montrer. L’agitation ou la violence représentée au moment même où elle se produit porterait atteinte à la majesté de la sculpture en rompant l’équilibre des lignes, et de plus elle compromettrait la solidité réelle de la statue. Que si, au lieu d’une figure isolée, condamnée par la pesanteur même de la matière à trouver son point d’appui dans la tranquillité de son attitude, il s’agit d’un groupe ou d’un bas-relief, là encore chaque mouvement partiel, si vif qu’il soit, devra concourir au calme linéaire de l’ensemble. L’image même d’un combat, si elle n’offre cet aspect de pondération, de sérénité ; ne sera plus qu’un tableau en pierre ou