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Nous ne parlons même pas des actes de véritable démence commis au temps des Borromini et des Bernin, alors que, pour mieux rompre l’uniformité des lignes, les architectes des églises et des palais de Rome imaginent d’accoupler à des balustres droits des balustres sens dessus dessous, ou d’ériger sur une paire de colonnes deux fragmens d’un fronton non-seulement brisé, mais placé en raison inverse de la direction naturelle.

N’est-il pas bien remarquable d’ailleurs que, de tous les genres d’architecture pratiqués avant la seconde moitié du XVIIe siècle, le plus conforme en réalité aux traditions de l’art grec soit précisément celui qui semble à l’extérieur en différer le plus ? Je m’explique. En admirant à Chartres, à Amiens, à Paris, dans d’autres villes de la France, les types de ce qu’on est convenu d’appeler l’art gothique, personne ne sera tenté sans doute d’y voir une imitation des temples d’Athènes ou de Pœstum : autant vaudrait prétendre reconnaître dans la Chanson de Roland ou dans la Divine Comédie la langue et les mœurs des héros de l’Iliade, mais, de même que les chants épiques du moyen âge peuvent avoir un caractère homérique par la profonde sincérité de l’inspiration et de l’accent, l’architecture gothique à son tour peut faire songer à l’architecture grecque en ce sens que, dans ses œuvres comme dans les œuvres de celle-ci, tout s’enchaîne avec une logique rigoureuse, et que la majesté, la grâce même, y sont toujours une forme de la vérité. Veut-on des exemples ? Qu’on se rappelle ces contre-forts transformés en motifs d’ornement autour du monument qu’ils soutiennent, ces aqueducs pour recueillir et rejeter au dehors les eaux qui ont glissé le long du grand comble établis sur d’élégantes constructions à claire-voie, enfin, à l’intérieur, ces figures d’anges ou de prophètes servant d’agrafes aux nervures diagonales des voûtes et immobilisant les claveaux avoisinans en raison de la pression exercée : combinaisons ingénieuses inspirées, comme les décorations antiques, par les données même de la construction, et devenant un aveu de celle-ci, au lieu d’être, ainsi que cela arrivera souvent au temps de la renaissance, une pure fantaisie, un mensonge du constructeur.

A quoi bon au surplus remonter à la renaissance ou aux siècles qui l’ont suivie pour démontrer par des exemples contraires la justesse des principes qu’ont connus et pratiqués les architectes de l’antiquité grecque ou ceux du moyen âge ? L’oubli de ces principes et de ces règles ne nous semble pas de nos jours un fait si rare qu’il faille chercher bien loin les occasions de le constater. Notre école d’architecture en effet traverse une phase qui n’est exempte ni de graves inconvéniens dans le présent, ni de périls pour sa bonne renommée dans l’avenir. A qui la faute, sinon à elle-même, à ses fastueuses manies, à ce besoin d’accumuler sur chaque