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la contrée elle-même, d’en transformer l’aspect en y faisant surgir tantôt des montagnes de pierre, tantôt des forêts de piliers aussi épaisses et aussi vastes que les forêts d’arbres qui végètent ailleurs ; il semble que le génie humain n’aspire alors qu’à s’anéantir dans ses propres œuvres, à s’immobiliser dans l’imitation superstitieuse des phénomènes extérieurs.

Et cependant le plus merveilleux de ces phénomènes lui échappe, le plus admirable de ces modèles demeure comme inaperçu, au moins quant à ses caractères et a sa signification intimes. Le moment n’est pas venu encore où l’homme, pour transporter dans l’architecture l’ordre et la règle, en demandera les exemples aux proportions du corps de l’homme, à la structure de ses membres, à l’harmonie mathématique que toutes ses parties comportent ; mais lorsque, une fois en possession de ce secret, il aura appris à exprimer l’opposition dans la symétrie et la diversité dans l’équilibre, lorsque, sans copier, — est-il besoin de le dire ? — les formes mêmes de la figure humaine, il aura su, par la cadence ou la variété des lignes, prêter à la matière inorganique un organisme à l’image du sien, — alors justice sera faite de ces entreprises aussi démesurées que monotones qui parodiaient les grands spectacles de la nature. L’art sera constitué.

D’une part, les progrès se sont accomplis dans l’architecture à mesure que l’homme y a plus scrupuleusement traduit un souvenir de lui-même et plus profondément marqué son empreinte ; de l’autre, l’imitation du réel par les moyens architectoniques ne doit être que lointaine, sous peine d’aboutir à une prétention de rivalité vaine ou monstrueuse. Que l’art s’inspire de la nature pour la combinaison rationnelle des forces ou des formes qu’il emploie, rien de mieux. S’il trouve le modèle rudimentaire d’une colonne surmontée de son chapiteau dans les contours d’un arbre dont le tronc, élargi à la base, va se rétrécissant à mesure qu’il s’éloigne du sol, pour s’élargir de nouveau et se diviser en branches au sommet ; si l’invention ou la combinaison de certains ornemens lui est suggérée par le port d’une plante, par les enroulemens d’un coquillage, par l’épanouissement d’une fleur, qui s’avisera de contester l’opportunité de pareils secours ? Il n’y a là toutefois, il ne saurait y avoir qu’une image et non une reproduction littérale, une vérité relative, une allusion enfin à la réalité. Comme les exemples du corps humain dans le domaine de la symétrie, les modèles fournis par la nature inanimée, en ce qui concerne la stabilité ou l’élégance, intéressent avant tout le goût et la raison. Le vrai en architecture n’est que l’expression conséquente et scientifique du bon sens, l’appropriation soigneusement, calculée des caractères à la destination d’un monument. Le beau lui-même y est affaire de logique, puisqu’il résulte de la