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d’ailleurs, disent-ils, tant d’investigations scientifiques ? D’une part la nature qu’on a devant les yeux, de l’autre le sentiment qu’elle éveille, voilà le modèle et le moyen. Au lieu de se fatiguer à interroger les morts pour surprendre tant bien que mal les secrets de leurs doctrines, que ne se contente-t-on de s’écouter soi-même et de regarder naïvement ce qui vit ? Contraste singulier toutefois, ceux qui proclament exclusivement les droits de la réalité et de l’inspiration individuelle sont en général les mêmes qui dans la pratique semblent en faire le meilleur marché, tandis que les talens véritablement novateurs ont éprouvé à toutes les époques le besoin de recueillir des règles et de rédiger des préceptes. Les peintres les plus académiques de la fin du dernier siècle n’entendaient pas raillerie sur le chapitre de l’indépendance théorique, et Valenciennes entre autres a écrit un gros livre où il fait appel à chaque page aux purs « amis de la nature » et aux « disciples du sentiment. » Léon-Baptiste Alberti au contraire aussi bien que Léonard de Vinci, Jean Cousin comme Albert Dürer, c’est-à-dire les maîtres les moins suspects de concessions à la routine, pensaient faciliter d’autant la besogne de leurs successeurs en leur transmettant les secours qu’ils avaient puisés eux-mêmes dans les travaux de leurs devanciers ou dans leur propre expérience. Les écrits qu’ils ont laissés prouvent au moins l’empressement de ces grands esprits à rechercher les conditions réglementaires et pour ainsi parler les formules légales de l’art.

Comment au surplus prétendre affranchir si bien l’art et les artistes que le progrès ne soit plus en réalité qu’une succession d’épreuves, d’aventures, de démentis ? Comment ne pas admettre, dans le domaine de limitation, certaines nécessités absolues, certains principes invariables, — la fidélité de l’image par exemple et la vraisemblance de l’expression ? Sera-ce au nom de l’idéal ? Mais l’idéal lui-même n’est et ne saurait être que la vérité revêtue des formes de l’art. L’imagination dû peintre ou du sculpteur ne l’invente pas, elle le dégage ; la main, si habile ou si audacieuse qu’elle soit, ne fait qu’en concilier les termes avec la représentation du réel. Seulement, comme cette vérité idéale peut être diversement aperçue et traduite, comme elle se modifie dans les œuvres qui la reflètent suivant les inclinations de chaque époque ou les aptitudes de chaque talent, il résulte de là un désaccord apparent entre les moyens successivement choisis, bien qu’ils aient au fond une origine commune. Sans doute, lorsque Ictinus construisait le Parthénon ou lorsque Phidias en décorait les murs, ils s’y prenaient, pour exprimer le beau, tout autrement que ne devaient procéder, dix-neuf siècles plus tard, l’architecte de Santa-Maria-del-Fiore et le sculpteur des portes du Baptistère à Florence. Les préférences