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la préfecture ; dans le cours de la même année, 109 sauvetages accomplis dans la Seine n’ont grevé le budget que de la somme insignifiante de 1,950 francs, car 31 sauveteur ont délicatement refusé la prime, à-laquelle ils avaient droit et qui leur était offerte. Les mêmes mois qui voient le plus de morts par submersion voient naturellement le plus grand nombre de sauvetages : les mois de fortes chaleurs, juin, juillet, août, septembre, comptent 15, 16, 18, 13 sauvetages ; janvier n’en a que 6, et décembre 1 seul. Non contente de remettre une prime à ceux qui rendent à la société le service de sauver un de ses membres en péril, la préfecture de police distribue tous les ans des récompenses honorifiques à ceux des sauveteurs qui se sont distingués par des actes renouvelés de courage et d’humanité ; en 1866, pour sauvetages opérés dans la Seine, elle a accordé vingt-quatre médailles, dont quatre en or et vingt en argent.

Cette race vaillante qui habite les ports et les quais n’a du reste guère besoin d’émulation ; elle renferme des hommes intrépides et dévoués, dont le grand et principal souci est de sauver la vie de leurs semblables. Ces mariniers, ces patrons de bateaux à lessive, ces maîtres de bains, ces débardeurs, jouent avec la rivière ; ils l’ont en quelque sorte apprivoisée, ils en connaissent le secret et les périls, qu’ils ne redoutent plus. Au premier cri d’alarme, ils sont à l’eau, et il faut des chances défavorables bien exceptionnelles pour que le malheureux qui se noie ne soit pas sauvé. Il est peu de ces hommes qui ne soient décorés de médailles civiques. Sans eux, sans leur abnégation, leur vigilance, leur courage, la Morgue serait trop petite, et il faudrait en tripler les dimensions. Ils se sont groupés sous le titre de Société centrale et de secours mutuels des sauveteurs du département de la Seine[1], et tous les ans ils ont une séance solennelle à la salle Saint-Jean ; cette société compte aujourd’hui trois cent soixante-deux membres titulaires tous médaillés et six cent vingt-trois membres honoraires. C’est une des meilleures et des plus respectables institutions qui existe ; son but a été très nettement défini dans l’assemblée du 26 novembre dernier par le vice-président, M. Androuet du Cerceau, lorsqu’il a dit : « Quelle est notre mission ? Sauver d’abord, partout et toujours, par le dévouement et par l’exemple ! » Ceci n’est pas une vaine parole, c’est un mot d’ordre auquel chaque membre de la société obéit. La passion du bien agite invinciblement certains cœurs. Il y a là des héros modestes qu’aucun danger ne fait reculer, qui sont prêts à toute heure et qui ont tous les courages, celui du grand jour et celui de

  1. Approuvée par décret du 11 août 1856.