Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des modifications : ses îles non plus n’ont pas été épargnées ; au gré des besoins successifs, on les a reliées entre elles ou rattachées à la terre ferme.

Dans tout le cours de la Seine parisienne, on n’en compte plus que deux à cette heure, l’île de la Cité, l’île-mère, celle d’où la vieille Lutèce est sortie du fond des marécages, et l’île Saint-Louis ; les autres méritent qu’on rappelle ce qu’elles étaient et qu’on dise ce qu’elles sont devenues. Jadis on en comptait dix : c’était d’abord l’île aux Javiaux ; en 1468, elle prit le nom de Nicolas Louviers, prévôt des marchands, qui la possédait. Au commencement du XVIIIe siècle, elle fut acquise par l’administration municipale sans but déterminé ; elle était louée à des marchands de bois, qui y créèrent des chantiers importans, sorte de docks des bois flottés[1]. C’est ainsi que nous l’avons encore connue, réunie au quai des Célestins par le petit pont de Grammont et n’ayant pour toute maison qu’un poste occupé par des gardes municipaux ; l’étroit bras de la Seine qui la séparait de la ville a été comblé en 1843. Elle resta inhabitée, et en 1848 on y établit des baraquemens pour quelques-uns des régimens de l’armée rassemblée à Paris à la suite de l’insurrection de juin. Aujourd’hui l’ancienne île Louviers est bordée d’un côté par le boulevard Morland, de l’autre par le quai Henri IV, et l’on ne se douterait guère, à la voir, qu’elle était, il y a vingt ans à peine, entourée d’eau de tous côtés.

L’île Saint-Louis, qui de nos jours encore a conservé une physionomie toute spéciale (et qui offre une honorable particularité que Parent-Duchâtelet fait ressortir avec soin), est formée de l’île Notre-Dame et de l’île aux Vaches ; en examinant un plan de Paris au XVIe siècle, on voit que ces deux îles étaient séparées par un petit canal étroit qui ne pouvait recevoir aucun bateau, et qui passait sur l’emplacement actuel de l’église Saint-Louis. Par contrat signé le 19 avril 1614 et enregistré le 6 mai de la même année, elles furent concédées à Christophe-Marie, entrepreneur général des ponts de France, et à Le Regratier, trésorier des Cent-Suisses, à la condition qu’ils réuniraient les deux îles ensemble et les joindraient à la terre ferme par un pont. Grâce aux difficultés élevées par le chapitre de Notre-Dame, qui avait un vieux droit de possession sur ces terrains, les constructions ne furent terminées qu’en 1647 ; la rue Le Regratier et le pont Marie ont consacré le nom des fondateurs de l’île Saint-Louis. Dans l’origine, l’île de la Cité s’arrêtait à l’endroit où l’on a tracé la rue Harlay-du-Palais ; au-dessous d’elle,

  1. Ses débuts sous ce rapport ne furent pas heureux. Dans la nuit du 28 au 29 mars 1721, un chantier de bois de charpente y fût consumé par un incendie que trois ouvriers y allumèrent en fumant. Ces malheureux périrent dans les flammes, et le dégât dépassa 100,000 francs. Voyez Buvat, Journal de la régence, II, p. 233.