Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de leurs résolutions et frénaisies. » On sait l’épouvantable famine qui suivit cette conquête de la Seine. À ce moment, tous les yeux sont tournés vers la rivière, du haut des clochers on en interroge le cours aussi loin qu’on peut en suivre les méandres ; c’est par elle seule que peuvent arriver les vivres si douloureusement attendus. Aussi quel désespoir lorsque, « le dimanche 28 du présent mois d’avril 1591, la flotte de Meaux et de Château-Thierry, conduisant à Paris jusqu’à quatorze cents muis de bled en cent quinze basteaux, est arrestée et prise par les gens du roy. » S’il en était ainsi au temps de Henri IV, qu’était-ce donc sous les rois de la première et de la seconde race ? Ces dures époques sont aujourd’hui passées pour toujours ; mais elles ont laissé des traces profondes qu’on retrouve à chaque page dans les vieux mémoires. Dès que la navigation de la Seine est interdite, Paris s’émeut et se désespère. C’était le fleuve nourricier par excellence, et jusque sur les marchés publics il déposait le blé, le vin, le bois et les fruits. L’interruption du cours de la Seine apportait la famine, la contagion et la mort.

D’où vient ce mot : la Seine ? Du celtique, dit-on : squan, serpent ; sin-ane, la lente rivière ; sôgh-ane, la paisible rivière ; les Romains l’ont latinisé, selon leur usage, et en ont fait Sequana. A-t-elle été une divinité ? On pourrait le croire, puisque le Tibre fut un dieu. Ceux qui la possédaient et en avaient la navigation exclusive étaient de grands personnages, les plus riches et les plus considérables de la cité ; il y a longtemps que les nautes ont fait parler d’eux, et le plus ancien monument de Paris leur appartient. Lorsque dans l’année 1711 Louis XIV fit changer le maître-autel de Notre-Dame, dans les fouilles qu’on opéra au milieu du chœur de la vieille basilique, on rencontra les débris d’un autel élevé autrefois par nos pères ; sur une de ses faces, on lisait et on peut lire encore au musée de Cluny : TIB. CÆSARE AUG. JOVI OPTUMO MAXSUMO… M. NAUTÆ PARISIACI PUBLICE POSIERUNT ; sous Tibère César Auguste, à Jupiter très bon, très grand, les navigateurs parisiens publiquement consacrèrent… Ces nautœ, désignés plus tard sous le nom de mercatores aquœ, furent la souche de notre administration municipale ; ils furent la hanse. Leur chef, d’abord prévôt de la marchandise d’eau, devient prévôt des marchands, puis maire de Paris et enfin préfet de la Seine. C’est à cette origine beaucoup plus qu’à la forme problématique de l’île de la Cité, qui jadis était composée de trois îles, qu’il faut attribuer les armes de Paris, le vaisseau et la devise : fluctuat nec mergitur. C’est donc de la Seine qu’est née, la ville qui est encore plus la capitale du monde que celle de la France.

La Seine a connu toutes nos discordes civiles, et, si je puis dire, elle y a pris part. Les Normands l’ont envahie sur leurs barques