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Tandis que les empereurs, absorbés par leurs conquêtes au dehors, négligeaient d’accomplir au dedans l’œuvre unitaire que poursuivaient avec persévérance les autres souverains, la nation elle-même s’efforçait parfois d’établir l’ordre en créant un pouvoir central et un véritable état fédératif. De toutes ces tentatives de paix perpétuelle, nous ne citerons que le projet préconisé par la diète de 1490, parce qu’il a plus d’un rapport avec l’organisation réclamée encore aujourd’hui. Il devait y avoir d’abord un tribunal suprême de l’empire, décidant les difficultés et maintenant la paix entre tous, ensuite un impôt général destiné à entretenir une armée impériale pour garantir la sécurité intérieure et extérieure, enfin une réunion annuelle de la diète et un comité permanent disposant de l’impôt et de l’armée pour le bien du pays. Maximilien, au lieu d’exploiter ce mouvement au profit de son autorité, le fit avorter, afin de consacrer les forces allemandes à ses guerres d’influence et de conquête contre la France et l’Italie. Cette occasion perdue ne se retrouva plus. Les querelles de religion déchirèrent l’Allemagne et étouffèrent tout esprit national. il n’y eut plus d’Allemands, il y eut des catholiques et des protestans préférant leurs coreligionnaires étrangers à leurs compatriotes hérétiques. Après la paix de Westphalie, l’indépendance des états particuliers et le patriotisme local allèrent s’accentuant de plus en plus jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Le corps germanique était définitivement déchiré, et malheureusement après la guerre de sept ans l’antagonisme de deux grandes puissances rivales s’établissait dans son sein, l’Autriche et la Prusse étant toujours prêtes à se disputer la suprématie l’épée à la main. C’est alors que Voltaire dit : « La multiplicité des états sert à tenir la balance jusqu’à ce qu’il se forme en Allemagne une puissance assez grande pour engloutir les autres. » Le patriotisme allemand, ce sentiment puissant qui a produit les événemens contemporains, était inconnu à cette époque. Frédéric II n’était pas patriote, il savait à peine sa langue maternelle, dont il se moquait volontiers. Il n’aimait, n’admirait que les Français. Les grands écrivains dont les œuvres allaient donner aux Allemands l’unité d’une patrie intellectuelle n’étaient pas nationaux, ils étaient humanitaires ; ils pensaient au progrès du genre humain plutôt qu’à celui de l’Allemagne.

Le patriotisme est un beau sentiment, car il pousse l’homme à se sacrifier pour son pays ; mais ce n’est pas un de ces instincts innés, éternels, comme celui de la famille ; il n’a pas toujours existé, il n’existera pas toujours. Quand an trouvera en tout pays même sécurité, même liberté, mêmes droits, on considérera la terre entière comme sa patrie et tous les hommes comme des frères. Déjà maintenant on tend au cosmopolitisme. C’est une conséquence du