Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/157

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fond les effets que la lumière produit sur la trame, alors qu’elle se présente horizontalement, verticalement ou de biais, et dès lors en variant le grain, en changeant de rayure, en calculant le miroitage produit par un fil élevé ou aplati, ils arrivent à des harmonies qui nous sont inconnues, ou que nous avons bien rarement l’occasion d’observer, l’absence du soleil ici ne les faisant pas ressortir comme dans ces pays lumineux. Le modèle enfin, qui là-bas se trouve partout, sur le plumage des oiseaux aussi bien que sur le corps métallique des insectes ou le tissu des fleurs, ne se montre chez nous que par de rares exceptions. Cela explique l’ignorance dans laquelle nous sommes encore des lois de la couleur et de l’harmonie. Vous tous, fabricans, ouvriers, dessinateurs d’ornemens, c’est là que vous devriez aller de préférence pour essayer de saisir ces lois naturelles, cet instinct merveilleux de l’équilibre dans la forme et la couleur. La loi de la hiérarchie des tons est toujours respectée dans les productions de l’art industriel de l’Orient, et par suite les yeux sont satisfaits de cette clarté qui n’empêche ni la variété ni la plus libre fantaisie, mais arrête le désordre, l’anarchie, la discordance et la confusion.

Les habitans de l’Asie ont un vif sentiment de la dominante dans la couleur, chose aussi importante pour la peinture que pour la musique. Remarquez dans ces trois petits tapis en moquette de laine et de soie comme le rouge carmin prédomine et comme la bordure orangée vient s’y joindre en accords du même ton, puis comme le fond rouge est lui-même modulé. Que de nuances dans cette gamme, et quel heureux contraste établissent ces marguerites blanches semées sur le fond, donnant ainsi le diapason à toutes les couleurs ! Il faut examiner aussi les dentelles ou pour mieux dire les passementeries en cordonnet de soie, d’or ou d’argent qui servent à border les vêtemens. Nulle part on n’exécute avec plus de goût et de délicatesse ce genre de travail ; il est inconnu chez nous, et, par la variété, la légèreté ou l’ampleur qu’il est susceptible de présenter suivant la destination, mérite de servir de leçon et d’exemple à nos brodeuses.

L’Égypte moderne a exposé fort peu de chose. C’est dans le jardin qu’il faut aller la voir. Son okel et ses kiosques sont les seuls monumens d’ailleurs qui puissent donner une idée saine de l’architecture orientale ; tout le reste n’est que l’Orient du Café turc ou de l’Hippodrome.


II

Hélas ! en terminant cette promenade à travers tant de richesses, nous constatons avec un sentiment de regret et de douleur que