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étonnent en aucune façon. Cependant, placée à côté du bahut français, l’étagère japonaise ne redouterait pas la comparaison, et entre les deux, si on nous donnait à choisir, nous devons avouer que nous n’hésiterions pas un seul instant à nous décider en faveur de cette dernière.

Plus que toute autre partie de l’Orient, la Perse a conservé ses traditions, ses secrets de métier, son type originel. Ces célèbres toiles de coton auxquelles en France nous avons donné le nom de perses et d’indiennes à l’époque où on essaya de les imiter sont ornées d’arabesques fleuris représentant, de même que le décor de leurs faïences, des fleurs aplaties comme dans un herbier. Que ce soient des œillets, des pavots, des marguerites ou des roses, la loi géométrique qui préside à la construction de la fleur naturelle est toujours habilement surprise. C’est à Ispahan que se fabriquent ces kalam-kar[1], qui prennent les noms de perdes, de sofras et de djanamaz suivant qu’elles servent de tenture, de nappes ou de tapis de prière. À Kirman se font des cachemires assez gros, mais solides, souples et surtout harmonieux. Les villes de Yezd et de Rescht sont célèbres par leurs velours et par le darayi, soie chinée, flambée et unie, enfin par ces kollab-douzi dont on fait des tentures et de merveilleuses housses pour les chevaux. La broderie en cordonnet de soie de toutes couleurs se fait au crochet sur drap écarlate, bleu pâle, gris ou noir. Ces étoffes, un peu surchargées de couleurs et d’ornemens, sont fort chères ; mais l’industrie qui surpasse toutes les autres est celle des tapis. Depuis le kali, fin comme du cachemire, jusqu’au feutre épais d’un demi-pied, on en compte plus de cinquante espèces fabriquées dans ces contrées de l’Iran. Habitans des villes, des villages et des montagnes ont tous dans leur maison un métier de tapisserie. Les plus beaux tapis se font à Ferhan, près d’Ispahan, d’autres, plus ordinaires, à Mesched. Ceux du Kurdistan n’ont pas d’envers. Charmans de couleur et de dessin, ils sont d’un usage excellent. Dans toute la Perse se fabrique le guilim, tapis qu’Andrinople a su très bien imiter. Le djadjin est une sorte de moquette mince, serrée et fort bon marché. C’est à Hamadan, dans le Kurdistan, qu’on trouve les plus fines moquettes sur cordes de soie. À la fois ras, épais, d’une solidité incroyable et d’une pureté de couleur et de dessin dont rien n’approche, ils surpassent tout ce qui se fabrique dans le reste du monde. En Turquie, dans l’Inde, où cette industrie fut apportée par les ouvriers persans, elle est loin d’avoir la même perfection. Nous avons vu un de ces tapis du

  1. Kalam-kar, littéralement œuvre du kalam ou du pinceau. Ces toiles sont en réalité imprimées au bloc, pois retouchées à la main pour faire disparaître les joints.