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vient ce contraste ? Les empereurs allemands ont-ils donc eu moins de génie ou moins d’ambition que les rois de France ? Point du tout ; mais les premiers poursuivirent une chimère funeste, et les seconds un but raisonnable. Si les empereurs n’ont pu d’une seule nationalité faire surgir un état unique, tandis que les rois de France constituaient un état avec des nationalités multiples, cela tient à deux causes : la première est que la couronne impériale était élective, la seconde qu’il s’y rattachait le rêve de l’empire universel, souvenir de la Rome antique renouvelé par Charlemagne. Ces leçons de l’histoire sont bonnes à recueillir.

Le chef de l’état peut être, électif sans compromettre l’existence du pays, quand celui-ci est définitivement constitué et que les attributions du pouvoir exécutif sont bornées. C’est pour cela que les républiques de Rome, de Venise et des États-Unis ont duré, tandis que la Pologne a succombé. Moins le chef de l’état a de puissance, moins il est dangereux de le faire élire, Quand le pouvoir est aux mains d’un conseil, comme en Suisse, le renouvellement se fait sans secousse. Quand il s’agit d’un président, comme aux États-Unis, chaque élection, produit une convulsion telle que les peuples européens ne voudraient pas en supporter de pareilles : aussi s’efforce-t-on de restreindre son autorité ; mais rendre électif un empereur, un roi, c’est conduire l’état à sa perte ou en empêcher la formation : le despotisme ou l’anarchie est inévitable. En Allemagne, c’est l’anarchie qui n’a point permis à l’état de naître. Les empereurs, pour assurer leur élection ou celle de leurs fils, ont consacré l’indépendance de leurs grands vassaux et celle des évêques, préparant à la fois le triomphe de l’église et le morcellement de l’empire.

La seconde cause de faiblesse, c’est le rêve de la monarchie universelle, qui pousse successivement la ligne saxonne, la ligne salique, les Hohenstauffen et enfin les Habsbourg à épuiser leurs forces pour saisir l’Italie, qui leur échappe toujours. Cette vaine poursuite les a tous perdus et a ruiné même l’Autriche contemporaine. Il n’y a point dans l’histoire de plus colossale application de la fable du chien qui lâche sa proie pour l’ombre. Ils voulaient faire une réalité de ce titre pompeux le saint empire romain, qui, comme on l’a dit, ne mérita jamais aucun de ces trois noms, n’étant ni romain, ni saint, ni même un véritable empire. Un empereur universel sous un pape universel, tel était l’idéal qui, en précipitant pendant huit cents ans l’Allemagne sur l’Italie, les a empêchées de se constituer en paix chacune sur son territoire. Solferino et Sadowa ayant brisé le nœud fatal qui les reliait l’une à l’autre pour leur commun malheur, les deux pays cherchent maintenant, chacun de son côté, une constitution appropriée à leurs besoins.