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aujourd’hui en Europe. Comme dans un vrai voyage aux pays du soleil, nous rencontrons d’abord en notre chemin l’Italie : elle est bien déchue ; mais comment ne pas être frappé de la verrerie vénitienne ? Là du moins la tradition s’est conservée, et si la fabrication de Murano est inférieure à celle du temps passé, c’est au manque d’argent qu’il faut s’en prendre, non au manque de goût et de savoir-faire. La Russie, qui se présente à côté, est, par ses productions, plus orientale qu’européenne. Elle s’inspire de l’art byzantin sans trop le comprendre. A bien dire, elle n’a pas, elle n’aura jamais un art personnel. Elle a trop vécu déjà pour n’avoir pas depuis longtemps donné la mesure de ses aptitudes. Elle imitera, elle héritera, mais ne sera jamais créatrice. Rien chez elle n’attire bien vivement l’attention, si ce n’est deux candélabres en lapis-lazuli rose ou rodomite de Sibérie. Encore n’est-ce pas certes le dessin qu’il faut admirer, c’est la couleur du marbre. Si on a l’esprit de comprendre la beauté de cette pierre, qui semble la roche originelle du rubis, elle deviendra le plus décoratif et le plus élégant de tous les marbres employés pour les cheminées, les revêtemens de lambris, les moulures.

Mais voici l’Orient ! On peut le dire sans hésiter, il a la part la plus belle au milieu de cet amas de produits venus des cinq parties du monde. Rompons une bonne fois avec ce patriotisme mal entendu qui non-seulement fausse la conscience, mais encore prolonge les illusions et pousse de plus en plus nos fabricans et surtout nos dessinateurs dans la route funeste où le hasard seul les guide. Partons de ce fait, qui n’est au reste sérieusement contesté par personne, que toutes les industries, toutes les fabrications en Europe, quelle qu’en soit la nature, nous viennent de l’Orient. Cachemires de l’Inde, bijoux de Lahore, satins et nankins, ivoires et porcelaines de Chine, damas, perses et velours d’Alep, de Chiraz et d’Ispahan, gazes et mousselines de Gwalior et d’Agra, armes et tapis du Kurdistan, laques de Satzouma, bronzes et papiers du Japon, sont tellement supérieurs à nos imitations par la qualité de la matière, par la beauté des dessins, l’harmonie des couleurs, la solidité, le bon marché, que tout homme éclairé et de bonne foi ne saurait un seul instant hésiter dans ses préférences, qu’il se place au point de vue de l’art ou à celui de l’industrie. C’est une belle occasion pour nos fabricans d’ouvrir les yeux, de remonter à la source du vrai et du beau, sans lesquels le luxe n’est rien, d’étudier ces tapis, véritables symphonies de couleur, de se rendre compte enfin de ce qui assure, à ces compositions si pures l’éternelle faveur des gens de goût, quelles que soient la mode et la fantaisie. Les étoffes de Babylone, de Memphis, de Tyr,