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connaissions sur le livre de Job. Comme on discutait devant lui l’âge probable de ce héros biblique de la souffrance, les uns voulant qu’il fût contemporain de Moïse, les autres qu’il eût vécu au temps de l’exil, R. Simon trancha la question comme la plupart des critiques modernes. « Job, dit-il, n’a vécu en aucun temps, il n’a jamais existé, ce livre est un maschal, » c’est-à-dire un poème religieux. Du reste, le canon de l’Ancien Testament n’était pas encore tellement fixé que des opinions assez libres sur quelques parties du recueil sacré ne circulassent encore parmi les rabbins. Ils avaient adopté une singulière expression pour désigner les livres reconnus divins. « Ce livré souille les mains, » disaient-ils, c’est-à-dire qu’il n’y faut toucher qu’avec d’infinies précautions. C’est pourquoi plusieurs rabbins du temps affirmèrent que ni l’Ecclésiaste avec sa morale épicurienne, ni le Cantique des cantiques avec ses doux chants d’amour, « ne souillaient les mains. » R. Akiba sauva pourtant la divinité du Cantique des cantiques en disant qu’il chantait les amours de Dieu et de la nation d’Israël. Les chrétiens substituèrent l’église à la nation, et c’est ainsi que ce délicieux poème devint l’un des thèmes favoris du mysticisme juif et chrétien, qui y trouva tout ce qui lui plut.

Pendant ce temps, sur la base de la mischna, la tradition rabbinique poursuivait son œuvre d’explications subtiles et de jurisprudence raffinée, ce qu’on nommait la gémare ou commentaire. Ainsi se formait ce qu’on peut appeler le second étage de l’édifice talmudique ; mais, si la mischna était écrite, la gémare ne l’était pas encore. C’est sous le patriarcat de Juda II que les écoles d’interprétation babyloniennes commencèrent à rivaliser d’autorité avec celles de Palestine. De là deux gémares se poursuivant parallèlement dans les deux foyers du rabbinisme avec de nombreuses analogies, mais aussi avec de notables différences. C’est surtout à un certain Abba Areka, plus connu sous son nom historique de Rab (le rabbin par excellence), mort en 247, que le judaïsme babylonien fut redevable de sa ferveur rabbinique et du puritanisme qui succéda au relâchement par lequel il se distinguait auparavant du judaïsme palestin. L’excommunication, telle que Rab la fit prévaloir, était encore plus sévère qu’en Palestine. Elle constituait une véritable mort civile. Le Talmud, si sobre d’allusions aux événemens historiques, ressemble souvent à une chronique de famille, comme cela du reste est naturel à la tradition d’un peuple sans indépendance politique, mais d’une vie intérieure très forte et toute repliée sur elle-même. Ainsi nous savons par lui que Rab eut comme Socrate une sorte de Xantippe qui ne songeait qu’à le contrarier. C’est au point que son fils devenu grand, quand il était chargé par son père d’une commission