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Muette sur la question des peines de l’autre vie, elle était fort sévère dans ses dispositions disciplinaires, et comminait très souvent la flagellation, même la mort, contre les transgresseurs.

Sous Gamaliel III et Juda II, qui succédèrent à Juda le Saint de 210 à 275, le patriarcat juif maintint et même agrandit encore la haute position où ce dernier l’avait fait monter. Le sanhédrin fut transféré à Tibériade, et dans cette ancienne capitale de la Galilée on put voir le patriarche juif s’avancer en public avec une garde d’honneur. On accuse Juda II de rapacité et de simonie. A partir de Juda II du reste, le patriarcat perd en prestige religieux ce qu’il gagne en éclat temporel. Cependant les écoles rabbiniques de Palestine jetèrent encore un grand lustre de son temps. Les docteurs juifs d’alors, mordant à même de la mischna comme leurs prédécesseurs s’étaient acharnés sur la loi, pour en presser le sens et en déduire toutes les applications possibles, portent le nom d.’ amoras ou interprètes. Leur nombre n’est pas moindre que celui des tannaïtes, et leur histoire n’est pas plus variée. On peut citer pourtant parmi les figures les plus originales R. Jochanan bar-Napecha, mort en 279, l’amora le plus accrédité de son temps, très anti-romain, assez large toutefois et sympathique aux œuvres littéraires de la Grèce. « Sem et Japhet, disait-il, ont jeté tous les deux un manteau sur la nudité de leur père ; c’est pourquoi Sem a reçu le manteau garni de houppes (vêtement des rabbins) et Japhet le manteau de philosophe (le pallium). » Par une innovation qui dans un tel milieu ne manquait pas de hardiesse, il autorisa les peintures dans l’intérieur et pour l’ornement des habitations. Il était fort bel homme, et le Talmud, qui s’arrête rarement à de telles vanités, a décrit d’une étrange façon l’impression que produisait sa physionomie. « Celui, nous dit-on, qui veut se faire une idée de la beauté de R. Jochanan doit remplir de grenats une coupe d’argent fraîchement travaillée, en couronner le bord de roses rouges, mettre la coupe entre la lumière et l’ombre, et le reflet qu’elle projettera ressemblera à la beauté de R. Jochanan. » Pourtant R. Jochanan manquait de barbe, et ses sourcils étaient si longs qu’ils lui recouvraient les yeux. De là quelque chose de farouche dans le regard, et la légende dit que plus d’une fois et sans le savoir il tua ses adversaires rien qu’en les regardant.

Son contemporain R. Simon ben-Lakisch était aussi renommé pour sa force corporelle que Jochanan pour sa beauté. Il défiait et terrassait les animaux féroces dans les cirques. Portant toujours le deuil de la patrie égorgée, on ne le vit jamais rire. C’est à lui que remonte le jugement critique le plus ancien que nous