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décision suprême. Les pays voisins, la Suède, la France, la Russie, sont intervenus tour à tour dans ces dissensions intérieures, appelés par l’un ou l’autre souverain en quête d’alliances. Rien n’est plus naturel : un prince préférera toujours l’étranger qui le protège au compatriote qui le menace. Donnez un roi à l’Irlande ou à l’Ecosse, et il bénira une invasion américaine, si elle lui assure une province de plus. L’homme est ainsi fait, même sur le trône c’est un être égoïste ; vous ne ferez jamais qu’il ne sacrifie sans hésiter la théorie des nationalités à l’intérêt de sa couronne. C’est précisément pour ce motif que les Allemands veulent soustraire les vingt-neuf souverainetés qui leur restent à de dangereuses tentations en instituant un état fédératif assez puissant pour enlever à chacune d’elles le pouvoir d’attaquer les autres. Sans admirer en tout la France, ils la trouvent cependant bien heureuse de n’avoir plus à craindre que le préfet de la Gironde déclare la guerre au préfet des Basses-Alpes, l’un livrant Bordeaux aux Anglais et l’autre Nice aux Italiens pour prix d’un secours en hommes ou en argent. Ce qu’ils demandent donc, c’est de ne plus être forcés de s’entr’égorger dans les plaines de la Saxe ou de la Franconie, et ce vœu paraît assez naturel. L’idée seule que les jours de la guerre de trente ans ou de la confédération du Rhin pourraient revenir transporte de fureur les plus placides[1]. C’est pour cela que la constitution de la confédération du nord, quelque imparfaite qu’elle puisse paraître, a été saluée comme une première garantie de paix à l’intérieur et de sécurité à l’extérieur.

Mais, objectera-t-on, si l’Allemagne est restée divisée en un grand nombre d’états, c’est apparemment que le caractère de la nation ne se prêtait pas à constituer un empire unitaire. Les Allemands se vantent d’avoir apporté au monde moderne le principe de l’indépendance individuelle, ce que l’on nomme

  1. Je ne puis mieux faire comprendre ces sentimens qu’en citant un extrait d’une lettre de M. Schulze-Delitzch, le pacifique fondateur des banques populaires. « Nous sommes, dit-il, nous autres Allemands, le plus paisible des peuples civilisés. Des dissensions intérieures nous ont mis dernièrement les armes à la main, mais c’était contre une partie de nos frères, non contre des peuples voisins que personne ne songe à inquiéter. Le sentiment national a pris chez nous une telle force que nous ne souffrirons plus à aucun prix l’ingérence étrangère. Une histoire lamentable de plusieurs siècles de déchirement, d’impuissance et de honte est la comme un avertissement sous nos yeux. Depuis les terribles guerres de religion des XVIe et XVIIe siècles jusqu’aux campagnes sanglantes du premier empire, presque toutes les grandes luttes européennes se sont vidées sur notre sol et ont fait de notre patrie un désert. Pour empêcher le retour de semblables calamités, nous nous lèverions tous comme un seul homme. Un parti politique qui se laisserait seulement suspecter d’une apparence d’hésitation sur ce point serait perdu pour toujours. » On croirait lire la dernière circulaire de M. de Bismarck.