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Golgotha. On eût dit qu’il voulait ainsi paganiser les trois monts vénérés par les trois religions issues du monothéisme d’Israël. La grotte de Bethléem, déjà consacrée par la légende chrétienne, reçut elle-même une image d’Adonis. La circoncision et l’observation du sabbat furent défendues sous les peines les plus rigoureuses. Une législation savamment combinée enveloppa le corps entier du judaïsme d’un réseau d’interdictions calculées pour le rendre impossible. En un mot, les édits d’Adrien ouvrirent pour le judaïsme, en tant que religion, l’ère de la persécution systématique.

Le sanhédrin reconstitué par R. Jochanan s’était dispersé. Quelques docteurs juifs se réunirent toutefois secrètement à Lydda afin de délibérer sur la situation. Les uns voulaient qu’on cédât pour un temps à la force des circonstances. « La loi, disaient-ils, a été donnée aux Israélites pour les faire vivre, non pour les faire mourir. » D’autres pensèrent qu’il valait mieux endurer tous les martyres que de violer une quelconque de ses ordonnances. Ce dernier avis l’emporta, mais avec quelques tempéramens dictés par la prudence. Il s’établit entre les Juifs fidèles et la police impériale une guerre de ruses et de contre-ruses, ceux-là inventant l’impossible pour déguiser l’observation réelle sous la transgression apparente, celle-ci s’ingéniant à découvrir les actes de judaïsme[1]. La tradition talmudique a gardé la mémoire, d’un certain apostat, nommé Acher, qui connaissait parfaitement toutes les rubriques du rabbinisme, et qui chercha fortune dans l’art de dénoncer les Juifs pratiquans. Surtout la police romaine s’efforça de toutes les manières d’empêcher la réouverture des écoles rabbiniques et la consécration de nouveaux rabbins. Beaucoup payèrent de leur vie leur obstination à instruire ou à se laisser instruire. La tradition juive relève particulièrement le martyre de dix rabbins, dont l’un, R. Ismaël, était si célèbre par sa beauté que sa tête coupée fut envoyée à Rome pour être offerte à une fille de l’empereur qui avait désiré la voir. R. Akiba, le promoteur de la révolte, avait échappé jusqu’alors, on ne sait trop comment, à la main de fer des persécuteurs. Il fut enfin surpris, donnant des leçons sur la loi. C’était la grande autorité rabbinique du moment. Il semblait que sans lui

  1. Parmi les mesures les plus douloureuses pour les Juifs fidèles, il faut noter celle qui défendait d’enterrer les corps des soldats tués en défendant la cause de l’indépendance. C’était, au point de vue juif, un odieux sacrilège. Telle est une des raisons qui ont déterminé les savans modernes à fixer à cette date la composition du livre de Tobie, dont les personnages fictifs sont censés vivre au temps de la domination assyrienne, et qui montre comment la bénédiction divine repose sur le juste qui, malgré les dangers que ce soin pieux lui fait courir, donne une sépulture honorable aux cadavres abandonnés.