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Comme on peut s’y attendre, la défaite de l’armée insurgée fut suivie d’un redoublement de persécutions. Adrien ne pardonnait pas aux Juifs ce qu’il appelait leur trahison. La dévastation du pays s’opéra froidement et systématiquement. Dans cette belle Galilée, naguère encore si riche en produits agricoles, on se montrait quelques années après un olivier comme une rareté. Le massacre en grand de la population valide fut organisé. De nouveau l’on vit partir des colonnes entières de femmes et d’enfans voués en masse à l’esclavage. Les cavernes du Liban avaient servi de refuge à quelques poignées de fugitifs. Un jour de sabbat, l’une de ces compagnies d’outlaws entendit le bruit causé par des sandales ferrées qui pénétraient dans la grotte. C’étaient aussi des Juifs cherchant un asile. On crut des deux côtés à une attaque des ennemis, et les malheureux se renversèrent, s’étouffèrent, s’entre-déchirèrenf en pleines ténèbres dans un accès indescriptible de fureur. De là vient la prescription talmudique interdisant l’usage des sandales ferrées le jour du sabbat. Ailleurs des réfugiés, entassés aussi dans une grotte, se virent forcés de manger de la chair humaine pour ne pas mourir de faim, et s’habituèrent à cet abominable régime. La campagne environnante était semée de cadavres, et chacun à son tour devait en aller chercher un pour la nourriture commune. Un jour l’un d’eux ne trouva sur son chemin que le cadavre de son père. Il ne peut se décider à le rapporter dans la grotte et revient les mains vides. Un autre, envoyé après lui, rentre plus heureux. La bande affamée, le premier envoyé comme les autres, se jette sur les affreux tronçons qui lui sont offerts. Quand la faim est apaisée, le pourvoyeur raconte où et comment il a fait sa trouvaille, et le fils découvre qu’il vient de se rassasier du corps de son père ! Ce trait seul dépeint l’horreur de la situation. En souvenir des inénarrables malheurs de la dernière guerre, polemos acharon, comme l’appelèrent les rabbins, il fut décidé que les fiancées ne seraient plus portées dans la maison nuptiale sur des palanquins richement ornés.

Adrien augmenta le fiscus judaïcus. Il fit passer la charrue sur Jérusalem et l’emplacement du temple en signe que tout était fini pour la vieille cité juive. Ælia Capitolina, la nouvelle ville construite par ses ordres, s’éleva au nord de l’ancienne, à la place des anciens faubourgs. Il y établit une colonie de vétérans, de Phéniciens et de Syriens. Sa statue à lui-même, celles de Jupiter Capitolin et d’autres divinités grecques et phéniciennes ornèrent le temple bâti sur les ruines du sanctuaire de Jéhovah. Il fut interdit aux Juifs sous peine de mort de franchir l’enceinte de la cité nouvelle. Adrien fit aussi construire un temple de Jupiter sur Garizim, la montagne sainte des Samaritains, et un temple de Vénus sur le