Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 72.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pourtant la politique flavienne ne songea pas à molester les Juifs sous le rapport religieux proprement dit. Du moins les entraves mises à leur culte ne dépassèrent pas la mesure conseillée par l’intérêt de l’état, et, s’il fut interdit de relever le temple détruit, la synagogue resta libre ; Il est à croire que les Flaviens ne se doutaient pas de l’immense concession qu’ils faisaient aux vaincus en leur laissant cette liberté. Comme tous les anciens et beaucoup de modernes, ils ne pouvaient se représenter l’existence prolongée d’une religion dépourvue de sacerdoce. D’ailleurs, le judaïsme politique une fois réduit à l’impuissance, ils n’entendirent pas annexer à l’empire un pays désert. Ils s’attachèrent à discerner et à protéger parmi les vaincus les élémens moins revêches que les autres, les Juifs qui dès le premier jour avaient déconseillé la guerre ou bien qui eussent été d’avis de se soumettre après les premiers échecs. C’est comme s’ils eussent relevé l’école de Hillel et rendu la prépondérance au rabbinisme scolastique, mais pacifique. Il y eut en particulier un certain rabbi Jochanan, de tendance hillélite, membre de l’ex-sanhédrin, qui le lendemain même de la catastrophe jeta les fondemens du judaïsme de l’avenir. Ce rabbi Jochanan était à Jérusalem au moment du siège. Il aurait voulu qu’on se rendît. Voyant ses conseils méconnus, il prit le parti de se retirer du côté de Titus. C’était difficile. Le parti zélote surveillait de très près ceux qui faisaient mine de déserter. Aidé par deux disciples dévoués, il se fit enfermer dans un cercueil et transporter hors des murs comme un cadavre. Pour mieux déjouer les soupçons des gardes, les prudens disciples avaient mis dans le coffre un lambeau de viande corrompue dont le parfum fit l’office de laisser-passer. Titus reçut gracieusement le vieux rabbin, et lui permit d’ériger une école à Jamnia, sur la Méditerranée. Après la chute de la ville, Jochanan put se servir, dans l’intérêt de ses malheureux compatriotes, de la confiance qu’il inspirait aux autorités romaines. Plus d’une mesure fut adoucie, plus d’une famille sauvée par son intercession. Il réunit autour de lui les débris du rabbinisme, et ne tarda pas à constituer un sanhédrin officieux dont l’autorité fut volontiers reconnue par l’ensemble des communautés juives. le sanhédrin et l’école présidés par Jochanan renouèrent la chaîne des traditions, décidèrent sur les questions religieuses et sur une foule de cas litigieux d’après les règles de la jurisprudence rabbinique, et pour cela ils durent réviser cette jurisprudence compliquée pour l’adapter aux circonstances nouvelles. Le nassi ou prince, c’est-à-dire celui qui présidait l’assemblée et que les Romains plus tard appelèrent le patriarche, devint ainsi le chef vénéré de tous les enfans de Juda.

C’est de cette manière qu’en reconstituant une ombre d’institution