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allemands, la Divinité, qui intervient au bon moment pour trancher tous les nœuds, dissiper tous les scrupules, vaincre toutes les résistances, il n’est question chez M. Schmidt que de la justice de l’histoire, du droit de l’histoire, de l’arrêt de l’histoire ; il est même parlé de devoir historique, c’est-à-dire apparemment du devoir de s’incliner sans murmure devant le fait accompli. Voilà un devoir de nouvelle espèce. L’histoire n’est plus simplement cette trame éternelle des événemens qui se fait et se défait sans cesse, cette suite variable de succès et d’insuccès, issus de mille causes bonnes ou mauvaises, qu’on ne saurait confondre avec le droit, car ils n’ont rien à faire avec la moralité. Non, l’histoire, c’est-à-dire le fait d’hier, est une puissance sacrée, à laquelle il faut obéir dès qu’elle a parlé, sans délai et sans discussion : prescription embarrassante, car l’histoire change souvent de langage et se dément parfois du jour au lendemain ; à moins, ce qui est fort probable, qu’il n’y ait, selon ces messieurs, deux sortes d’événemens, les uns qui sont de l’histoire, les autres qui n’en sont pas, les premiers étant, bien entendu, tout ce qu’ils estiment conforme à leurs désirs, les seconds tout ce qui les contrarie.

M. Schmidt ne cache pas qu’à ses yeux l’unité est le premier besoin de l’Allemagne, le but à la poursuite duquel tout doit être sacrifié, et il déroule dans un véritable sermon sur l’unité des théories et des vues qui n’ont pas tout à fait le mérite de la nouveauté. Ce sermon est d’ailleurs assez superflu, puisque M. Schmidt voit d’avance l’histoire et la volonté nationale élever de concert le pont qui va bientôt supprimer cette ligne illusoire du Mein, et que tout le monde en Allemagne aspire à l’unité ; mais il somme quiconque veut l’unité d’en vouloir aussi les moyens. On devine aisément ce que cela veut dire : c’est que tout véritable Allemand doit effacer dans son cœur jusqu’à la dernière trace d’un sentiment particulariste, dépouiller cette fatale idolâtrie, renoncer à réclamer pour aucune portion de la race allemande une prééminence quelconque ou le titre de race élue de Dieu. Voilà qui est parler d’or ; mais le conseil, qui est excellent, surprend un peu à la fin d’un livre qui d’un bout à l’autre n’a pour objet que de prouver la mission de la Prusse, d’établir par la politique constante de ses princes et les qualités de son peuple qu’elle a véritablement reçu le dépôt des destinées de la patrie, qu’elle est depuis un siècle, ou plutôt depuis son origine, l’axe autour duquel tourne l’histoire nationale tout entière.

L’ancien député au parlement de Francfort n’a pas perdu la mémoire de ce qui fut un des rêves de cette assemblée comme de bien d’autres ; il se souvient de la liberté, il s’en souvient pour dire qu’il en sacrifierait jusqu’à la dernière étincelle à la consommation de l’unité nationale, et pour soutenir en même temps que l’unité est une partie, la meilleure partie de la liberté. Ces deux pensées peuvent sembler un peu contradictoires, car si l’unité est une partie de la liberté, comment pourrait-on